Le WSWS publie de nouvelles traductions des écrits de Léon Trotsky de février à mars 1917. Dans de nombreux cas, ces articles sont maintenant en anglais pour la première fois, les traductions françaises sont faites depuis les versions anglaises.
Cet article fut publié dans le journal new-yorkais de langue russe Novy mir (Monde nouveau) le 19 mars 1917. Il a été publié en russe en 1923 dans le livre de Trotsky Voina i Revoliutsiia (Guerre et Révolution), tome 2, pages 438-440. Il est apparu en anglais dans Trotsky Speaks. Ci-dessous une traduction originale.
Un conflit ouvert entre les forces de la révolution, dirigées par le prolétariat urbain et la bourgeoisie libérale antirévolutionnaire, temporairement au pouvoir, est absolument inévitable. Il est possible, bien sûr, et ce sera fait avec ferveur par les bourgeois libéraux et les quasi-socialistes du type étroit d’esprit, de réunir de nombreuses paroles pathétiques sur le grand avantage de l’unité nationale sur les divisions de classe. Mais personne n’a encore réussi à éliminer les contradictions sociales avec de telles incantations, ou à arrêter le développement naturel de la lutte révolutionnaire.
Nous ne connaissons l’histoire intérieure des événements qui se déroulent que par des fragments et des indices qui ont échappés dans les télégrammes officiels. Néanmoins, on peut même maintenant remarquer deux points où le prolétariat révolutionnaire et la bourgeoisie libérale s’opposeront de plus en plus.
La question de la forme de l’État a déjà provoqué le premier conflit. Le libéralisme russe a besoin d’une monarchie. Dans tous les pays qui exécutent une politique impérialiste, nous voyons l’extraordinaire croissance du pouvoir personnel. Le roi britannique, le président français et plus récemment le président des États-Unis ont concentré entre leurs mains une énorme part du pouvoir de l’État. La politique des prises de force de par le monde, des traités secrets et des trahisons ouvertes exige l’indépendance vis-à-vis du contrôle parlementaire et des garanties contre les changements en cours qui seraient provoqués par le remplacement fréquent des ministres. D’autre part, la monarchie crée le soutien le plus fiable pour les classes possédantes dans la lutte contre les sentiments révolutionnaires du prolétariat.
En Russie, ces deux causes agissent avec plus de force que partout ailleurs. La bourgeoisie russe ne croit pas qu’il soit possible de refuser au peuple le suffrage universel, sachant qu’un tel refus entraînerait aussitôt les couches les plus larges des masses contre le gouvernement provisoire et ferait rapidement prévaloir dans le mouvement révolutionnaire l’aile nouvelle, la plus décisive du prolétariat. Même le monarque en réserve, Mikhaïl Aleksandrovitch, comprend qu’il serait impossible d’aborder le trône autrement que par les « droits électoraux universels, égaux, directs et secrets ». Il est d’autant plus important pour la bourgeoisie de créer en temps utile un contre-poids monarchiste aux profondes exigences sociales et révolutionnaires des masses laborieuses.
Formellement, en paroles, la bourgeoisie accepte de laisser la résolution de cette question à l’Assemblée constituante à venir. Mais essentiellement, le gouvernement provisoire des Octobristes et Cadets [1] et le ministère octobriste-cadet qui s’y ajoutera transformeront tous les travaux préparatoires de la convocation d’une assemblée constituante en une lutte pour la monarchie contre une république. La détermination de l’Assemblée constituante dépendra dans une large mesure de ceux qui la convoqueront et de la manière dont ils le feront. En conséquence, le prolétariat révolutionnaire devra immédiatement créer ses propres corps révolutionnaires, les Conseils (Soviets) de députés ouvriers, soldats et paysans, en opposition aux organes exécutifs du gouvernement provisoire. Dans cette lutte, le prolétariat doit avoir comme but direct la conquête du pouvoir, en unissant autour de lui les masses populaires insurgées. Seul un gouvernement ouvrier révolutionnaire aura la volonté et la capacité de préparer une assemblée constituante pour procéder à un nettoyage démocratique radical dans le pays, pour reconstruire l’armée de haut en bas, pour en faire une milice révolutionnaire et pour prouver par l’action aux masses populaires paysannes que leur salut ne consiste qu’à soutenir le régime ouvrier révolutionnaire. Une assemblée constituante convoquée sur la base de ce type de travail préparatoire reflétera réellement les forces révolutionnaires et créatrices du pays et deviendra elle-même une arme puissante dans le développement ultérieur de la révolution.
La deuxième question, qui doit opposer irrémédiablement le prolétariat internationaliste-socialiste à la bourgeoisie libérale-impérialiste, c’est l’attitude envers la guerre et la paix.
Novy mir, 19 mars 1917.
[1] Il s’agit du Comité de la Douma, dirigé par Rodzianko, et du gouvernement de Guchkov-Milioukov ; Chaque nom est tiré des premiers télégrammes américains extrêmement confus en provenance de Petrograd.
(Article paru en anglais le 18 mars 2017)