Le 7 octobre dernier, David North, président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site, a prononcé le discours suivant lors d'une réunion publique à Colombo organisée par le Parti de l'égalité socialiste (Sri Lanka) et à laquelle ont assisté de nombreux participants. La réunion, la deuxième des deux qui se sont tenues au Sri Lanka, a été organisée pour célébrer le 80e anniversaire de la IVe Internationale et le 50e anniversaire du PES au Sri Lanka.
C’est un plaisir et un honneur d’avoir l’occasion de donner au Sri Lanka des conférences sur l’histoire de la IVe Internationale. Le rôle héroïque joué par les socialistes révolutionnaires de Ceylan dans les premières années de la IVe Internationale est bien connu des trotskistes du monde entier. Devant d'immenses difficultés, les pionniers trotskistes, fondateurs du parti Lanka Sama Samaja (PLSS) en 1935 et, plus tard, en 1942, du parti bolchevique-léniniste de l'Inde (PBLI), s'opposèrent aux agents politiques de l'impérialisme de la bourgeoisie nationale indienne et ceylanaise. Leur perspective politique était basée sur la théorie de la révolution permanente, élaborée par Léon Trotsky au cours de la première décennie du XXe siècle, et qui fournissait la stratégie politique qui avait conduit la classe ouvrière russe à la victoire en 1917.
En 1939, Trotsky adressa une lettre aux travailleurs indiens. Avec sa compréhension caractéristique de l'histoire et de la dynamique de la lutte des classes, Trotsky a résumé les problèmes stratégiques essentiels auxquels étaient confrontées les masses du sous-continent indien :
La bourgeoisie indienne est incapable de mener une lutte révolutionnaire. Elle est étroitement liée au capitalisme britannique et en dépend. Elle tremble pour sa propre propriété. Elle craint les masses. Elle cherche des compromis avec l’impérialisme britannique à tout prix et aveugle les masses indiennes d’espoir de réformes d’en haut. Le chef et prophète de cette bourgeoisie est Gandhi. Un faux chef et un faux prophète!
Trotsky a dénoncé le rôle perfide joué par le régime stalinien en Union soviétique, qui exigeait, sous la bannière du prétendu «Front populaire», la subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie nationale. Il a écrit:
Quelle moquerie du peuple! «Front populaire» n’est qu’un nouveau nom pour cette ancienne politique, dont l’essentiel réside dans la collaboration de classe, dans une coalition entre le prolétariat et la bourgeoisie. Dans chacune de ces coalitions, la direction se retrouve invariablement entre les mains de la droite, c'est-à-dire entre les mains de la classe des propriétaires. Comme on l'a déjà dit, la bourgeoisie indienne veut une négociation pacifique et non une lutte. La coalition avec la bourgeoisie conduit le prolétariat à renoncer à la lutte révolutionnaire contre l'impérialisme. La politique de coalition implique de temporiser, de nourrir de faux espoirs, de se livrer à des manœuvres creuses et à des intrigues. À la suite de cette politique, le désenchantement s’installe inévitablement parmi les masses laborieuses, tandis que les paysans tournent le dos au prolétariat et sombrent dans l’apathie.
Les fondateurs du PLSS ont tenu compte de cet avertissement, se sont opposés à la bourgeoisie nationale et ont créé un puissant parti révolutionnaire de la classe ouvrière à Ceylan. Mais en 1964, le PLSS, avec des conséquences tragiques, tourna le dos à ses principes fondateurs et entra dans une coalition avec le gouvernement de la SLFP de Madame Bandaranaike. C’est en lutte contre cette «grande trahison» que la Ligue communiste révolutionnaire – le prédécesseur du Parti de l’égalité socialiste, la section sri lankaise du Comité international de la IVe Internationale – fut fondée en 1968. Pendant un demi-siècle, la section sri lankaise du Comité international a mené une lutte sans compromis pour surmonter l'héritage de la trahison de 1964. Mais en menant cette lutte, il n’a jamais oublié l’énorme contribution que les fondateurs du PBLI et du PLSS ont faite à la cause du socialisme révolutionnaire, non seulement au Sri Lanka, mais à travers le monde.
L'importance d’étudier l’histoire
Mes conférences au Sri Lanka font partie d'une célébration internationale du quatre-vingtième anniversaire de la fondation de la IVe Internationale. Le mouvement trotskiste est, par nécessité, conscient de l'histoire. En l'absence d'une perspective fondée sur l'histoire, l'analyse politique se dégrade pour ne devenir que des impressions sélectionnées de manière éclectique. Une politique sérieuse – et l'activité révolutionnaire est l’implication politique à son plus sérieux – nécessite une méthode scientifique. En navigation, il existe un instrument appelé le sextant. Son invention a permis à un capitaine d'établir avec précision la position de son navire en mesurant la distance angulaire entre l'horizon visible et un objet astronomique. Dans le processus de navigation politique, le parti révolutionnaire doit établir une corrélation entre l'horizon politique visible et un point de référence historique critique.
Said Gafurov, un opposant politique au Comité international – également partisan du gouvernement russe de Poutine – a récemment protesté contre notre accusation des crimes et des trahisons commises par les staliniens. Pourquoi ne pouvons-nous pas simplement laisser le passé disparaître et trouver des moyens de collaborer avec les héritiers politiques de Staline? Pourquoi devrions-nous laisser les crimes et les trahisons du passé faire obstacle à la collaboration aujourd'hui? Après tout, se plaint notre adversaire, Trotsky a été assassiné en 1940, il y a soixante-dix-huit ans; et Staline est mort en 1953, il y a soixante-cinq ans. L'Union soviétique a été dissoute en 1991, il y a vingt-sept ans. Pourquoi est-il encore nécessaire de rappeler les références de Trotsky au «fleuve de sang» qui séparait la IVe Internationale des staliniens qui, à la fin des années 1930, ont mené une campagne politique génocidaire à l’encontre des plus importants représentants du marxisme révolutionnaire en Union soviétique?
Cet opposant a déclaré qu’«aujourd'hui, les différences et les contradictions entre le trotskisme et le stalinisme n'ont qu'un caractère historique et non politique», pas plus pertinent pour le présent que les différences «entre Robespierre et Hébert ou Danton qui intéressent uniquement les historiens». Notre adversaire affirme que ces différences «sont importantes à étudier, mais uniquement pour des cours d’histoire (et l'histoire, pour être honnête et légèrement cynique, n'apprend jamais rien à personne)».
L’argument avancé par notre adversaire est que l’histoire et la politique existent dans des domaines différents et sans rapport. L’étude de l’histoire peut présenter un intérêt intellectuel abstrait. Mais cela ne nous apprend rien qui ait une valeur particulière pour notre activité politique actuelle. Ceux qui argumentent en ce sens n'ont absolument rien en commun avec la politique marxiste. Le mouvement révolutionnaire développe son programme et son activité à travers le remaniement critique continu de l'expérience historique. Sans point de référence historique, il est impossible de naviguer à travers les courants turbulents de la lutte de classe. De plus, comment un parti révolutionnaire peut-il former ses jeunes cadres et la classe ouvrière dans son ensemble sans étudier les événements révolutionnaires monumentaux du siècle dernier?
Le vingtième siècle a été le plus révolutionnaire de l'histoire. Sur tous les continents, les masses opprimées ont été entraînées dans le tourbillon de la lutte contre le capitalisme et l'impérialisme. On a été témoin, en 1917, pour la première fois de l'histoire, de la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, sous la direction du parti bolchevique. Les partis communistes de masse ont émergé dans le monde entier, reflétant le désir et la détermination de la classe ouvrière de mettre fin au capitalisme et d'établir une société socialiste.
Et pourtant, à la fin du siècle, malgré toutes les luttes et les sacrifices, la classe capitaliste détenait le pouvoir dans le monde entier. L'Union soviétique, née de la révolution de 1917, avait été dissoute par son propre gouvernement. En Chine, le parti communiste au pouvoir est devenu l'avocat le plus féroce de l'économie capitaliste. Nous vivons maintenant dans un monde d'inégalités sociales stupéfiantes. Comment expliquer ce processus de régression politique?
Dans le monde entier, l'indignation face aux conditions existantes augmente. Le «capitalisme» redevient un mot sale. Il y a un regain d'intérêt pour le socialisme, en tant qu'alternative à l'ordre social existant. Mais, il faut le dire franchement, ce qui manque clairement au coeur de cet effort progressif, c’est la connaissance des grandes expériences politiques et des luttes révolutionnaires du siècle dernier. Le mot même de «révolution» manque de contenu substantiel, en termes de compréhension de ses fondements sociaux, de la dynamique de classe et de la stratégie politique.
Les jeunes, nés après la dissolution de l'Union soviétique et la restauration du capitalisme en Chine, ont peu de connaissances sur la façon dont ces événements se sont produits, sans parler d'une connaissance détaillée de l'histoire des révolutions russe et chinoise. Ils ne sont pas familiers avec le contenu théorique et politique actuel de termes tels que stalinisme, maoïsme ou même castrisme. Bien sûr, les jeunes du monde entier connaissent l'image romantique et évocatrice de Che Guevara, mais ils ignorent tout de sa stratégie politique et de son programme, qui étaient, si je peux parler franchement, une faillite totale.
L'impact des attaques des universitaires sur le marxisme
Bien entendu, les jeunes ne peuvent être tenus pour responsables de leur connaissance limitée des bouleversements révolutionnaires du siècle dernier. De qui et d'où doivent-ils acquérir les connaissances nécessaires? Les médias capitalistes ne divulgueront certainement pas un savoir qui pourrait contribuer au renversement de l'ordre social existant. Mais qu'en est-il des universités, avec leurs nombreux professeurs? Malheureusement, l'environnement intellectuel a été pendant de nombreuses décennies profondément hostile à la théorie et à la politique socialistes authentiques. La théorie marxiste – enracinée dans le matérialisme philosophique – a été bannie des grandes universités depuis longtemps.
Le discours académique est dominé par la pseudo-science freudienne et le subjectivisme idéaliste de l'école de Francfort et par le charabia irrationnel du post-modernisme. Les professeurs informent leurs étudiants que le «grand récit» du marxisme est sans importance dans le monde moderne. Ce qu'ils veulent dire en réalité, c'est que la conception matérialiste de l'histoire, qui a établi le rôle révolutionnaire central et décisif de la classe ouvrière dans la société capitaliste, ne peut pas et ne doit pas être la base des politiques de gauche.
Pour les théoriciens et les praticiens de la politique de pseudo-gauche de la classe moyenne, il n'est pas nécessaire d'étudier l'histoire des luttes révolutionnaires du passé. Ses leçons contredisent toute leur panacée politiquement opportuniste et réactionnaire. En effet, Trotsky est un anathème dans ces cercles intellectuels. Mais il est impossible de lutter pour le socialisme au XXIe siècle sans étudier et assimiler les leçons de la lutte de Trotsky contre le stalinisme au XXe siècle. Cela reste la lutte théorique et politique fondamentale du siècle dernier, de la plus profonde et immédiate signification pour chaque question critique de stratégie politique à laquelle sont confrontés les travailleurs et tous ceux qui cherchent sérieusement la voie correcte de la lutte contre le capitalisme dans le monde contemporain.
L’importance de la lutte de Trotsky contre le stalinisme
La fondation de la IVe Internationale en septembre 1938 est une étape cruciale dans l'histoire du mouvement trotskiste, l'aboutissement politique de la lutte menée par Léon Trotsky au cours des quinze dernières années – à commencer par la formation de l'Opposition de gauche en Union soviétique en octobre 1923 – contre la dégénérescence bureaucratique du Parti communiste russe sous la direction de Staline.
Les profondes implications internationales de la lutte de Trotsky contre le régime stalinien apparurent à la fin de 1924, lorsque Staline affirma qu'il était possible de construire le socialisme en Union soviétique sans la lutte internationale contre le système capitaliste mondial, et sans le renversement de la classe dirigeante capitaliste dans les principaux centres impérialistes d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord.
Le programme du «socialisme dans un seul pays» – une rupture fondamentale avec la stratégie internationaliste qui sous-tendait la conquête du pouvoir par le parti bolchevique et la fondation ultérieure de l'Internationale communiste en 1919 – donna une expression politique aux intérêts de la bureaucratie croissante en Union soviétique, dont les privilèges découlaient de son usurpation du pouvoir politique et de l’exploitation, dans son propre intérêt, des ressources de l’économie nationalisée créée au lendemain de 1917. La dictature totalitaire instaurée par Staline était le moyen politique – réprimant de manière meurtrière les révolutionnaires marxistes employant le terrorisme policier comme instrument fondamental – par lequel la bureaucratie défendait ses privilèges et imposait l'inégalité sociale au sein de l'Union soviétique.
La dégénérescence nationaliste du régime soviétique a eu son impact le plus dévastateur sur la transformation de l'Internationale communiste en un instrument de la politique étrangère de l'Union soviétique. En cherchant à défendre l'orientation nationaliste implicite dans la théorie du socialisme dans un seul pays, la bureaucratie stalinienne a prétendu que le socialisme pouvait être construit en URSS, à condition que l'intervention militaire des puissances impérialistes soit prévenue. Ainsi, le but de l'Internationale communiste était réorienté vers la recherche et la formation d'alliés étrangers, même si la formation de ces alliances se faisait au détriment des luttes révolutionnaires de la classe ouvrière dans les pays où le régime stalinien cherchait à s'allier aux forces bourgeoises et petites-bourgeoises.
La tragédie de la Révolution chinoise
Les conséquences politiques de la subordination de l'Internationale communiste à l'opportunisme national de la bureaucratie soviétique ont eu une expression tragique en Chine, où Staline avait insisté pour que le Parti communiste chinois accepte l'autorité politique du parti bourgeois du Kuomintang et de son dirigeant, Chiang Kai-shek. Staline en était venu à considérer Chiang comme un allié potentiel et à le décrire comme un dirigeant de confiance de la lutte anti-impérialiste en Chine. Staline a fait valoir que la classe ouvrière était obligée de soutenir les couches progressistes de la bourgeoisie nationale. Trotsky a rejeté les efforts de Staline visant à dépeindre la bourgeoisie nationale dans les pays à développement capitaliste tardif comme plus révolutionnaire que la classe capitaliste des pays avancés. Trotsky a souligné que cette vue, en substance, une reprise de la position des mencheviks russes avant 1917 – reposait sur une fausse évaluation de la dynamique de classe dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Il a écrit:
Le rôle puissant du capital étranger dans la vie de la Chine a amené de très fortes couches de la bourgeoisie chinoise, de la bureaucratie et de l'armée à joindre leur destin à celui de l'impérialisme. Sans ce lien, le rôle énorme des soi-disant «militaristes» dans la vie de la Chine moderne serait inconcevable.
Il serait en outre naïf de croire qu’il existe un abîme entre la soi-disant bourgeoisie compradore, c’est-à-dire l’agence économique et politique du capital étranger en Chine, et la soi-disant bourgeoisie «nationale». Non, ces deux sections sont incomparablement plus proches l'une de l'autre que la bourgeoisie et les masses ouvrières et paysannes.
L'analyse de Trotsky a été justifiée par les événements. En avril 1927, Chiang procéda au massacre des communistes à Shanghai et à Canton, portant un coup dur dont le Parti communiste chinois ne s’est jamais remis. À la suite de cette catastrophe, le Parti communiste chinois, sous la direction de Mao Zedong, s'est retiré des villes et s'est installé à la campagne. Ce changement a profondément modifié la composition et l'orientation du Parti communiste chinois, qui, à partir de 1927, s'est principalement basé sur la paysannerie rurale et non sur la classe ouvrière urbaine. L'orientation maoïste deviendra, au cours des décennies suivantes, une source de grave désorientation politique et d'erreurs stratégiques de la part des organisations, y compris du JVP ici au Sri Lanka, qui ont adopté l'orientation paysanne du PC chinois.
Malgré le désastre politique en Chine, Trotsky continua à se battre pour la réforme du Parti communiste soviétique. En 1928, Trotsky – qui avait été expulsé du Parti communiste russe et de l'Internationale communiste en 1927 – vivait en exil à Alma Ata, une ville d'Asie centrale soviétique située près de la frontière chinoise. Mais même en exil lointain, à des milliers de kilomètres de Moscou, Trotsky demeura un maître de la stratégie révolutionnaire. Il obtint une copie du programme rédigé par Nikolai Boukharine – qui était alors allié de Staline – en tant que document principal du sixième congrès à venir de l'Internationale communiste. Trotsky a soumis ce document, basé sur la théorie du socialisme dans un seul pays, à une critique dévastatrice; et a soutenu l'internationalisme révolutionnaire, le fondement de la théorie de la révolution permanente, comme orientation stratégique de base du mouvement marxiste. Il a écrit :
À notre époque, qui est l'époque de l' impérialisme, à savoir, de l’économie et de la politique mondiale sous l'hégémonie du capital financier, pas un seul parti communiste ne peut établir son programme en procédant uniquement ou principalement à partir des conditions et des tendances de l'évolution de son pays. Cela vaut également pour le parti qui détient le pouvoir de l'État dans les limites de l'URSS. Le 4 août 1914 [le début de la Première Guerre mondiale], le glas retentit pour les programmes nationaux de tous les temps. Le parti révolutionnaire du prolétariat ne peut s’appuyer que sur un programme international correspondant au caractère de l’époque actuelle, l’époque du développement le plus élevé et de l’effondrement du capitalisme. Un programme communiste international n'est aucunement une somme de programmes nationaux ou un amalgame de leurs caractéristiques communes.
Trotsky ajoute:
Le programme international doit découler directement d’une analyse des conditions et des tendances de l’économie mondiale et du système politique mondial dans son ensemble, dans toutes ses connexions et ses contradictions, c’est-à-dire avec l’interdépendance antagoniste de ses parties. À l'époque actuelle, dans une bien plus grande mesure que par le passé, l'orientation nationale du prolétariat ne doit et ne peut découler que d'une orientation mondiale et non l'inverse. C'est là que réside la différence fondamentale entre l'internationalisme communiste et toutes les variétés de socialisme national.
Même après 90 ans, l'analyse de Trotsky de la dynamique de la révolution socialiste, de la primauté des conditions internationales sur les conditions nationales, reste le principe stratégique essentiel de la lutte pour le socialisme.
Résultat fortuit d’une erreur bureaucratique, la critique du projet de programme par Trotsky a été traduite en anglais; et elle est tombée accidentellement en possession de James P. Cannon et Maurice Spector, un délégué américain et canadien du Sixième Congrès. Ils ont sorti clandestinement le document de Trotsky hors de l'URSS. Cela a conduit à la formation de l'Opposition de gauche internationale. La lutte contre la dégénérescence nationale stalinienne du Parti communiste soviétique a été élargie pour devenir une lutte contre la dégénérescence de l'Internationale communiste.
L'Allemagne: «La clé de la situation internationale»
Entre 1928 et 1933, l’Opposition de gauche internationale se considérait comme une faction de l’Internationale communiste. Ses activités étaient orientées vers la réorientation révolutionnaire de l'Internationale et des partis dominés par les staliniens. Trotsky n'était pas disposé à abandonner l'Internationale communiste tant qu'il restait la possibilité de modifier sa politique. Un facteur important dans les calculs politiques de Trotsky a été la crise en Allemagne, qu'il a décrite comme «la clé de la situation internationale».
En janvier 1929, Trotsky fut déporté de l'Union soviétique sur l'île turque de Prinkipo. Il vivait maintenant comme un exilé apatride sur ce qu'il a qualifié de «planète sans visa». Cependant, malgré son isolement sur une île au large des côtes d'Istanbul, Trotsky a développé une analyse extrêmement presciente de la situation en Allemagne. Il a appelé à la formation d'un front unique du Parti communiste allemand et du Parti social-démocrate contre la menace fasciste.
Le parti nazi était devenu un mouvement de masse. S’il devait arriver au pouvoir, écrivait Trotsky, les résultats seraient une catastrophe politique pour la classe ouvrière internationale. Tout devait être fait pour bloquer la marche vers le pouvoir des nazis. Mais cela nécessitait un changement de la politique téméraire, complètement désorientée et incroyablement stupide du Parti communiste allemand. En suivant aveuglément la ligne tracée à Moscou, le Parti communiste allemand a non seulement refusé de former un front unique avec l’autre parti ouvrier de masse, le Parti social-démocrate, mais il a affirmé que le SPD – qui avait toujours le soutien de millions de travailleurs – était «social-fasciste», presque identique aux nazis. Comme il n'y avait aucune différence entre le SPD et les nazis, il n'y avait aucune action défensive commune possible entre les deux partis ouvriers de masse contre les forces de Hitler.
Comme Trotsky l'avait prévenu, la politique du Parti communiste permit à Hitler d'accéder au pouvoir. Avec le soutien crucial de politiciens bourgeois haut placés, Hitler devint chancelier de l'Allemagne le 30 janvier 1933. Le régime nazi s'est empressé de détruire sans la moindre résistance organisée les organisations de masse de la classe ouvrière. Malgré ce désastre politique sans précédent dans l'histoire, le Parti communiste – sans aucune opposition au sein de l'Internationale communiste – a continué à soutenir que sa politique avait été correcte. La catastrophe allemande a obligé Trotsky à modifier son approche de la lutte contre le stalinisme. Il a conclu que la réforme de l'Internationale communiste était impossible. La Troisième Internationale était morte en tant qu'organisation révolutionnaire. Il était nécessaire de construire la Quatrième Internationale.
La fondation par Trotsky de la Quatrième Internationale
L'appel de Trotsky à la création d'une IVe Internationale était lié à son évaluation du régime soviétique. Il a conclu que la réforme du régime bureaucratique était impossible. La bureaucratie était devenue une force sociale contre-révolutionnaire, défendant impitoyablement ses privilèges par l’écrasement de la classe ouvrière au sein de l'Union soviétique; et trahissant cyniquement les luttes de la classe ouvrière au-delà des frontières de l'URSS. L'évolution de l'Union soviétique vers le socialisme nécessitait alors le renversement du régime stalinien par une révolution politique. Ce n'est que par un soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière soviétique et le renversement de la bureaucratie qu'il serait possible de rétablir la démocratie soviétique et d'empêcher la destruction de l'Union soviétique et la réintroduction du capitalisme.
Les cinq années qui s'écoulèrent entre l'appel de Trotsky à la formation de la IVe Internationale en 1933 et le congrès fondateur en 1938 furent parmi les plus tragiques de l'histoire du mouvement socialiste. Malgré la crise sans précédent du système capitaliste mondial, la classe ouvrière subit une série de défaites désastreuses. La cause des défaites n'était pas l'absence de volonté de lutter. Au contraire, les années 1933 à 1938 ont été marquées par une montée en flèche de la lutte des classes. En 1936, la France fut convulsée par des grèves d’un caractère tout à fait révolutionnaire. En mai et juin, il y a eu plus de 12.000 grèves impliquant plus de deux millions de travailleurs, touchant pratiquement tous les secteurs de l'industrie. Les actions les plus militantes impliquaient la saisie d'usines par des travailleurs à l'esprit révolutionnaire. En juillet 1936, les travailleurs espagnols et catalans ont réagi à une tentative de coup d’État par des généraux liés au fascisme, menés par Francisco Franco, par un puissant soulèvement.
Mais en France et en Espagne, les premières victoires de la classe ouvrière se sont soldées par la démoralisation et la défaite. L'instrument politique des défaites était le «Front populaire», c'est-à-dire l'alliance des partis staliniens et sociaux-démocrates et des syndicats avec la bourgeoisie. La base explicite de cette alliance était la défense de la propriété capitaliste contre les aspirations révolutionnaires de la classe ouvrière. Les staliniens insistaient sur le fait que la lutte contre le fascisme consistait uniquement en la défense de la démocratie bourgeoise. Ils soutenaient que la classe ouvrière ne pouvait lutter contre le fascisme que par une alliance avec les sections démocratiques libérales de la classe capitaliste. Il était donc inadmissible d'avancer et de se battre pour un programme socialiste, car cela aliénerait les capitalistes démocrates et les entraînerait dans le camp des fascistes.
Le caractère contre-révolutionnaire du Front populaire a trouvé toute son expression en Espagne, où le parti stalinien, contrôlé par des agents de la police secrète soviétique, la GPU, a pourchassé et assassiné ceux qui soutenaient que pour vaincre Franco, il fallait mobiliser la classe ouvrière et la paysannerie sur la base d’un programme révolutionnaire. Les staliniens ont assuré la victoire de Franco.
Alors que Staline menait la trahison de la classe ouvrière au-delà des frontières de l'URSS, sa «grande terreur» au sein de l'Union soviétique – illustrée par trois procès publics à Moscou entre 1936 et 1938 – a entraîné l'extermination physique de toute une génération de marxistes révolutionnaires.
C’est dans ces conditions que Trotsky a fondé la IVe Internationale. Son insistance sur la nécessité d'une nouvelle Internationale se heurta à l'opposition de ceux qui affirmaient que sa condamnation du régime stalinien était trop intransigeante et absolue. Une autre critique était que le mouvement trotskiste était trop petit pour établir une nouvelle Internationale et que, de plus, une Internationale ne pouvait être fondée que sur la base de «grands événements».
Trotsky a répondu à ces critiques en insistant sur le fait que la fondation de la IVe Internationale reposait en réalité sur de «grands événements»: les plus grandes défaites de la classe ouvrière de l'histoire. Ces défaites avaient révélé la traîtrise et l'inutilité politique des anciennes organisations. De plus, la question cruciale n’était pas la taille d’un parti, mais la qualité de son programme, c’est-à-dire que le programme proposé par la IVe Internationale devait être fondé sur une évaluation correcte de la nature de l’époque historique et sur une formulation correcte des tâches politiques de la classe ouvrière.
Bien sûr, la question de la taille n’est pas sans importance. Le renversement du capitalisme ne peut être accompli par le biais du complot d'une poignée de personnes. La révolution socialiste nécessite la participation consciente de grandes masses de gens. Mais c’est un axiome du marxisme que la théorie ne peut devenir une force matérielle, au sens historiquement progressiste et révolutionnaire, que si le programme du parti identifie et articule la nécessité objective. Les partis qui se basent sur une fausse appréciation de conditions objectives et dont le programme ne correspond pas aux exigences de l'époque historique doivent finalement subir, quels que soient leurs succès éphémères, un naufrage politique.
La persistance de la Quatrième Internationale
Qu'est-ce qui explique dans ce cas la persistance historique de la IVe Internationale? C'est avant tout la correspondance de l'analyse et du programme de la IVe Internationale avec le caractère objectif de l'époque. Le document fondateur de la IVe Internationale a défini l'époque historique actuelle comme celle de l'agonie du capitalisme. Trotsky a écrit:
Les conditions économiques préalables à la révolution prolétarienne ont déjà atteint de manière générale le plus haut degré de réalisation que le capitalisme puisse atteindre. Les forces productives de l'humanité stagnent. Déjà les inventions et améliorations ne parviennent pas à élever le niveau de richesse matérielle. Les crises conjoncturelles dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste infligent de plus en plus de privations et de souffrances aux masses. Le chômage croissant, à son tour, aggrave la crise financière de l'État et mine les systèmes monétaires instables. Les régimes démocratiques, ainsi que fascistes, chancellent d'une faillite à l'autre.
Les avertissements d'une catastrophe par Trotsky se sont avérés. La Seconde Guerre mondiale, qui a éclaté exactement un an après la fondation de la IVe Internationale, a coûté la vie à plus de soixante millions de personnes. Avec l’aide indispensable des partis staliniens, la classe capitaliste a pu survivre, grâce à une combinaison de compromis politiques, de concessions tactiques et, au besoin, de répression impitoyable, aux bouleversements qui ont balayé le monde au lendemain de la guerre. Pendant plusieurs décennies, se reconstruisant sur les ruines de la guerre, le capitalisme a connu une croissance économique substantielle. Mais les contradictions fondamentales – entre la production sociale et la propriété privée des forces productives, entre le caractère intégré de l'économie mondiale et le système des États-nations – ont persisté.
La dissolution des régimes staliniens d'Europe orientale et d'Union soviétique a été unanimement saluée par les élites dirigeantes et leurs propagandistes des médias et leurs apologistes universitaires comme le triomphe du capitalisme sur le socialisme. Le triomphalisme des années 1990 reposait sur deux mensonges: le régime stalinien était socialiste et les contradictions du capitalisme avaient été surmontées. Mais, à la lumière de l'expérience des 30 dernières années, il est évident que les célébrations du triomphe du capitalisme étaient pour le moins prématurées. Les élites dirigeantes avaient proclamé qu'après la dissolution des régimes staliniens, le capitalisme conférerait à l'humanité la paix, la prospérité et la démocratie universelle.
La réalité s'est révélée très différente. Depuis l'invasion américaine de l'Irak en 1991 et la guerre civile en Yougoslavie, il y a eu un conflit militaire à la suite de l’autre. La «guerre contre le terrorisme», lancée après les événements du 11-Septembre, en est à sa dix-huitième année et n’a pas de fin en vue. Au contraire, l'intensification des rivalités et des conflits géopolitiques se dirige inexorablement vers le déclenchement d'une Troisième Guerre mondiale. Les États-Unis ont clairement fait savoir qu'ils ne permettraient pas à la Chine de les remplacer en tant que principale puissance mondiale, même s’ils devaient recourir à la force militaire pour contrer son ascension. Dans le même temps, les États-Unis sont en conflit avec la Russie, que Washington considère comme un obstacle à son projet de domination de l'Eurasie et du Moyen-Orient. Tout récemment, l'ambassadeur américain auprès de l'OTAN a déclaré que les États-Unis étaient prêts à mener une frappe préventive contre la Russie pour contrer ce qu'ils prétendent être le développement illégal d'armes offensives. Une telle menace ouverte est une dangereuse escalade du conflit entre les deux puissances les plus massivement dotées de l’arme nucléaire. Le monde est au bord d'une guerre nucléaire, dont les conséquences destructrices défient toute description.
Face à l'escalade de la violence internationale, les tensions sociales s'accentuent dans tous les pays, en particulier dans les pays capitalistes avancés, incluant les États-Unis. Les causes sous-jacentes des tensions sont la crise économique persistante et les niveaux stupéfiants d'inégalité sociale. Moins d'une douzaine de milliardaires possèdent plus de richesses que la moitié de la population mondiale. Jeff Bezos, le propriétaire d'Amazon, a une fortune personnelle estimée à 150 milliards de dollars. En une heure à peine, les millions qui s’ajoutent à sa fortune constituent un multiple substantiel de la somme totale que le travailleur moyen gagnera au cours de toute sa vie.
Inégalité sociale et éclatement de la démocratie
Les inégalités sociales génèrent inévitablement des conflits sociaux et de classe. À un moment donné, la tension sociale devient si extrême que les mécanismes de la démocratie commencent à s'effondrer. C’est la situation qui se dessine actuellement dans le monde entier. L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis est le symptôme d'un effondrement systémique des structures politiques démocratiques établies de longue date et dirigées par la classe capitaliste. Il y a une vaste discussion sur le danger du retour du fascisme au pouvoir.
Dans How Democracy Dies, les auteurs Steven Levitsky et Daniel Ziblatt écrivent avec tristesse :
Notre démocratie est-elle en danger? C'est une question que nous n'aurions jamais pensé poser… Au cours des deux dernières années, nous avons vu des politiciens dire et faire des choses sans précédent aux États-Unis – et nous reconnaissons que ce sont les précurseurs de la crise démocratique dans d'autres pays. Nous sommes effrayés, comme tant d’autres Américains, même si nous essayons de nous rassurer que les choses ne peuvent pas vraiment être si mauvaises ici.
Pourtant, nous nous inquiétons. … Vivons-nous le déclin et la chute d'une des démocraties les plus anciennes et les plus prospères du monde?
Madeleine Albright, ancienne secrétaire d'État américaine, a écrit un livre intitulé Fascism: A Warning, dans lequel elle fournit l'explication simpliste suivante pour expliquer la résurgence de l'extrême droite aux États-Unis:
Si nous considérons le fascisme comme une blessure du passé presque guérie, placer Trump à la Maison-Blanche revenait à arracher le pansement et à gratter la blessure.
Mais ce diagnostic politique ignore le fait que la résurgence de l'autoritarisme est un phénomène mondial. Dans The People Versus Democracy, Yascha Mounk attire l'attention sur l'ampleur mondiale du renouveau des mouvements fascistes:
Il est tentant, par exemple, de considérer Donald Trump comme un phénomène uniquement américain. … Et pourtant, la véritable nature de la menace posée par Trump ne peut être comprise que dans un contexte beaucoup plus large: celui des populistes d'extrême droite qui se sont renforcés dans toutes les grandes démocraties, d'Athènes à Ankara, de Sydney à Stockholm, et de Varsovie à Wellington. Malgré les différences évidentes entre les populistes qui sont en augmentation dans tous ces pays, leurs points communs sont profonds et font de chacun d'eux un danger pour le système politique de manière étonnamment similaire.
Un autre livre récemment publié, How Fascism Works, de Jason Stanley, attire l'attention sur le caractère mondial de la croissance de l'extrémisme de droite:
Ces dernières années, de nombreux pays du monde ont été dépassés par certains types de nationalisme d'extrême droite; la liste comprend les États-Unis, la Russie, la Pologne, l'Inde et la Turquie… J'ai choisi l'étiquette «fascisme» pour des ultranationalismes très divers (ethniques, religieux, culturels), la nation étant représentée par un dirigeant autoritaire qui s'exprime en son nom.
La manifestation la plus dangereuse de la résurgence fasciste est fournie par les récents développements en Allemagne, où les nazis – plus de soixante-dix ans après l’effondrement du Troisième Reich et la fin de la Seconde Guerre mondiale – redeviennent une force politique sérieuse. Des manifestants nazis, scandant des slogans racistes et antisémites, ont défilé dans les rues de Chemnitz et de Dortmund. Ce qui rend ces manifestations particulièrement significatives n’est pas leur taille. Les nazis sont encore une force politique relativement petite et sont méprisés en Allemagne. Mais les nazis bénéficient de puissants soutiens au plus haut niveau de l’État allemand. Suite à la manifestation à Chemnitz, le ministre de l'Intérieur du gouvernement de coalition au pouvoir, Horst Seehofer, a exprimé sa sympathie pour la foule nazie. Le chef du ministère de la Protection de la Constitution, Hans Georg Maassen, a nié – malgré une vidéo démontrant le contraire – que la foule avait menacé des passants immigrants qui regardaient la manifestation.
Qu'est-ce qui explique la renaissance du nazisme en Allemagne, le pays qui a connu toutes les horreurs du Troisième Reich? Dans tout le pays, d'innombrables monuments commémoratifs rendent hommage à la mémoire des victimes de l'Hitlérisme. Mais, comme une maladie en rémission mais non guérie, les anciens symptômes se manifestent à nouveau. Trotsky, qui a réalisé la plus grande analyse du fascisme, a insisté sur le fait que ce fléau politique était enraciné dans les contradictions du capitalisme et que l'effondrement de la démocratie bourgeoise – sous la pression de la crise économique mondiale, des tensions géopolitiques internationales et du conflit social interne – était un processus irréversible.
La démocratie ne peut être sauvée et rétablie sur la base du capitalisme. Tous les avertissements faits par Trotsky dans les années 1930, lorsqu'il dénonçait la politique perfide du Front populaire – qui subordonnait la classe ouvrière aux partis bourgeois soi-disant «libéraux» et «progressistes», garantissant ainsi la victoire du fascisme – acquièrent une immense pertinence aujourd’hui. En 1936, Trotsky écrivait:
En berçant les travailleurs et les paysans d’illusions parlementaires, en paralysant leur volonté de lutter, le Front populaire crée les conditions favorables à la victoire du fascisme. La politique de coalition avec la bourgeoisie sera payée par le prolétariat avec des années de nouveaux tourments et de nouveaux sacrifices, sinon par des décennies de terreur fasciste.
Toutes les craintes de Trotsky se sont réalisées. Le «Front populaire» s'est soldé par les catastrophes qui ont coûté la vie à des dizaines de millions de personnes entre 1939 et 1945. Pourtant, les ennemis du trotskisme – c’est-à-dire les pseudo-gauchistes qui écartent les leçons de l’histoire – défendent aujourd’hui les mêmes politiques que celles qui ont été à l’origine des catastrophes des années 1930 et 1940. La professeure Chantal Mouffe, qui compte parmi les plus célèbres théoriciennes de la pseudo-gauche contemporaine, prône un «populisme de gauche», qui n'est rien de plus que la dernière version de la collaboration néostalinienne avec les classes populaires. Appelant ouvertement au rejet de la politique de gauche «essentialiste» fondée sur le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et la centralité de sa lutte contre l'exploitation capitaliste, Mouffe affirme que le populisme de gauche «ne nécessite pas de rupture révolutionnaire avec le régime démocratique libéral».
Elle écrit qu'«il est possible de transformer l'ordre hégémonique existant sans détruire les institutions démocratiques libérales». L'État capitaliste-impérialiste – le gardien brutal et massivement armé de l'exploitation, de l'oppression et des inégalités – devrait rester intact. Quelle est donc l'alternative de la professeure Mouffe au programme marxiste de renversement révolutionnaire par la classe ouvrière de l'État capitaliste, à l'expropriation des oligarques capitalistes et à l'abolition de la propriété privée des moyens de production et de la finance? Elle écrit: «Une approche populiste de gauche devrait essayer de fournir un vocabulaire différent» et un «langage différent» qui pourrait plaire aux partisans des partis de droite! Est-il possible d'imaginer une expression plus flagrante de faillite politique? La professeure Mouffe voudrait nous faire croire que le danger du fascisme peut être combattu sans mobiliser la classe ouvrière sur la base d'un programme révolutionnaire. Il faut simplement décorer le réformisme avec un nouveau vocabulaire.
La crise de la direction révolutionnaire
Les alternatives politiques qui se présentent à l'époque de l'agonie du capitalisme sont soit la barbarie fasciste, soit la révolution socialiste. Le triomphe de l’un ou de l’autre déterminera l’avenir de l’humanité. La victoire du fascisme signifie la mort de la civilisation humaine. La victoire de la révolution socialiste ouvre la possibilité d'un renouveau et d'un épanouissement de la civilisation humaine à une nouvelle étape glorieuse. C'est le choix qui nous est posé.
Faisant le point sur les vicissitudes des luttes révolutionnaires des premières décennies du XXe siècle et cherchant à expliquer la cause des nombreuses défaites qui avaient suivi la grande victoire d’octobre 1917, Trotsky identifia la «crise de la direction révolutionnaire» comme le problème fondamental de l'époque. Les conditions objectives existaient pour la victoire du socialisme. Mais il restait le problème non résolu de la direction subjective. Cela reste la tâche fondamentale de notre époque.
Les opposants au trotskisme – en particulier parmi les représentants d'innombrables variétés de politique petite-bourgeoise de pseudo-gauche – attaquent habituellement la IVe Internationale en la qualifiant de «sectaire». Ils ne peuvent accepter le refus du Comité international de se lier, comme la pseudo-gauche petite-bourgeoise l’a fait, au cordon ombilical de la classe dirigeante.
Furieux à cause de notre adhésion à des principes, nos opposants soulignent le fait que le mouvement trotskiste n’a pas recruté des millions de personnes dans ses rangs. Un refrain populaire parmi nos ennemis est que «La Quatrième Internationale a été proclamée par Trotsky, mais n'a jamais été construite». Par cette phrase, ils séparent l'évolution de la Quatrième Internationale de toute l'histoire de la lutte de classe au cours des quatre-vingts dernières années. Ils préfèrent oublier que les partis et organisations favorisés par la pseudo-gauche – les staliniens, les maoïstes, les nationalistes bourgeois, les bureaucraties ouvrières – cherchaient à bloquer le développement de la IVe Internationale en diffamant, emprisonnant et assassinant les trotskistes.
Et que proposent nos adversaires comme alternative à la IVe Internationale? S'ils essayaient de commémorer les quatre-vingts, quarante ou même vingt dernières années de leurs activités politiques, quels succès politiques pourraient-ils indiquer avec fierté? Les staliniens peuvent signaler les ruines de l'Union soviétique et le viol économique qui a suivi. Les maoïstes peuvent souligner la transformation de la Chine en un point central du capitalisme mondial, le foyer de dizaines de milliardaires nouvellement créés. Les castristes peuvent dire à quel point Cuba est à nouveau un refuge pour les touristes américains, dont les dollars sont essentiels à la survie de l’économie locale. Les partis sociaux-démocrates sont pratiquement indiscernables des partis de droite de la bourgeoisie traditionnels. L'exemple de Corbyn en Grande-Bretagne prouve encore une fois que les organisations sociaux-démocrates ne peuvent être transformées en instruments de la lutte pour le socialisme. En effet, ils ne peuvent même plus être transformés en instruments de minces réformes sociales. Ce que toutes ces organisations ont en commun, pour rappeler une expression employée par Trotsky, c’est d’être pourries de part en part.
La Quatrième Internationale a été fondée par Trotsky pour résoudre la crise de direction révolutionnaire au sein de classe ouvrière. Il a compris que les tâches politiques posées à l'époque de l'agonie du capitalisme ne seraient pas facilement accomplies. En mai 1940, juste trois mois avant son assassinat par un agent du régime stalinien, Trotsky écrivait:
Le monde capitaliste n'a pas d'issue, à moins de penser qu’une agonie prolongée en soit une. Il est nécessaire de préparer de longues années, voire des décennies, de guerre, de soulèvements, de brefs intermèdes de trêve, de nouvelles guerres et de nouveaux soulèvements. Un jeune parti révolutionnaire doit s’appuyer sur cette perspective.
Comme Trotsky l'avait prévu, l’humanité a traversé «des décennies de guerre, des soulèvements, de brefs intermèdes de trêve, de nouvelles guerres et de nouveaux soulèvements». En défendant l'héritage du marxisme en tant que minorité persécutée politiquement dans les conditions les plus défavorables, la Quatrième Internationale, sous la direction du Comité international, a accumulé une immense expérience. Les événements ont justifié sa perspective historique. Maintenant, à ce stade tardif et très avancé de l'agonie du capitalisme, les conditions sont désormais réunies pour construire la IVe Internationale en tant que parti mondial de masse de la révolution socialiste.
(Article paru en anglais le 9 octobre 2018)