Victoria Nuland en Colombie: Washington prépare-t-il un autre coup d’État?

La sous-secrétaire aux affaires publiques du département d’État américain, Victoria Nuland, s’exprime lors d’une déclaration conjointe avec le directeur de la police nationale colombienne, le général Jorge Luis Vargas, absent de la photo, à Bogota, en Colombie, le mardi 8 février 2022. (AP Photo/Fernando Vergara)

À la suite de discussions de haut niveau sur la sécurité qui se sont tenues en Colombie la semaine dernière, la sous-secrétaire d’État aux affaires politiques de Washington, Victoria Nuland, a affirmé que des «acteurs étrangers» tentaient de subvertir les prochaines élections dans ce pays. Elle a promis que l’armée et les services de renseignement américains travailleraient avec leurs homologues colombiens pour garantir «une élection libre et équitable, une élection colombienne pour les colombiens».

«Nous devons la protéger contre les acteurs extérieurs désireux de manipuler les élections, comme ils ont essayé de le faire dans d’autres parties du monde», a déclaré Nuland aux journalistes.

Les sondages placent le sénateur Gustavo Petro, ancien membre du mouvement de guérilla M-19, qui a troqué la «lutte armée» pour la politique bourgeoise, comme le grand favori de la course à la présidence. Les taux d’approbation du président sortant Iván Duque, l’allié le plus proche de Washington dans la région, et de son parti d’extrême droite se situent autour de 13 pour cent.

Accompagnée de responsables du Pentagone et des services de renseignement américains, Nuland était à Bogota pour le dialogue stratégique de sécurité de haut niveau entre les États-Unis et la Colombie, un mécanisme créé en 2012 pour mieux coordonner les actions du gouvernement de droite colombien avec les opérations contre-révolutionnaires de l’impérialisme américain dans l’hémisphère occidental.

Alors que Nuland n’a pas directement nommé les «acteurs externes malins» qui sont censés comploter pour interférer avec les votes colombiens en «propageant des mensonges et des histoires qui ne sont pas d’origine colombienne», elle et ses assistants, ainsi que le régime d’extrême droite de Duque à Bogota, n’ont laissé aucun doute sur le fait que leur cible était la Russie.

Quelques jours avant le départ de Nuland pour la Colombie, le secrétaire d’État adjoint aux affaires de l’hémisphère occidental, Brian Nichols, qui faisait partie de la mission à Bogota a déclaré à un groupe d’experts du Congrès américain que les «efforts de la Russie pour déstabiliser notre hémisphère ou pour injecter un conflit de l’Ukraine dans l’hémisphère occidental [étaient] inacceptables. Nous travaillerons avec nos partenaires dans tout l’hémisphère pour empêcher cela».

L’avertissement de Nichols fait suite à une déclaration du vice-chancelier russe, Sergueï Ryabkov, selon laquelle Moscou n’exclut pas de déployer des moyens militaires à Cuba et au Venezuela si les États-Unis et l’OTAN poursuivent leur renforcement aux frontières occidentales de la Russie.

Les efforts de Washington pour aligner les gouvernements d’Amérique latine contre la Russie au sujet de la crise ukrainienne ont donné des résultats mitigés. Le président argentin Alberto Fernandez s’est rendu à Moscou au début du mois pour rencontrer le président Vladimir Poutine, tandis que le président fasciste brésilien Jair Bolsonaro a embrassé Poutine au Kremlin le 16 février, le jour même où des sources de renseignement américaines avaient affirmé que la Russie allait envahir l’Ukraine. Bolsonaro a profité de l’occasion pour déclarer que le Brésil était «solidaire» de la Russie.

En Colombie, en revanche, la campagne anti-russe de Washington a été accueillie à bras ouverts. Elle s’inscrit dans le droit fil de la propagande anti-russe du gouvernement. Duque lui-même a prétendu de manière invraisemblable que les grèves et les manifestations de masse qui ont balayé le pays au printemps dernier avaient été alimentées par la propagande russe sur les médias sociaux.

Plus récemment, le ministre de la Défense de Duque, Diego Molano, a accusé, sans fournir la moindre preuve, les Forces armées nationales vénézuéliennes (FAN) d’être mobilisées à la frontière colombienne «avec le soutien et l’assistance technique de la Russie et de l’Iran».

Dans une interview accordée à la station colombienne BluRadio, Nuland s’est faite l’écho des fausses accusations du gouvernement Duque. «Nous nous trouvons préoccupés par le fait que les Russes semblent être de plus en plus actifs dans ces régions frontalières. Ce sont ces mêmes régions frontalières où nous voyons des acteurs violents. Nous voyons le trafic de drogue, nous voyons la criminalité, nous voyons le blanchiment d’argent, ce genre de choses», a-t-elle déclaré. «Donc, que fait exactement la Russie là-bas et, plus important encore, que peuvent faire les États-Unis avec la Colombie pour durcir ces frontières et s’assurer que toute activité négative reste du côté vénézuélien?»

Outre le caractère totalement infondé de l’accusation fantastique selon laquelle la Russie aurait une présence quelconque à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, l’affirmation selon laquelle la fermeture de cette frontière protégerait la Colombie d’une «activité négative» débordant du Venezuela est grotesque.

La Colombie est responsable d’environ 70 pour cent de l’approvisionnement mondial en cocaïne, et les hauts responsables du gouvernement sont profondément impliqués dans le trafic de drogue. Quelques jours seulement avant l’arrivée de Nuland à Bogota, un général de l’armée colombienne a été relevé de son commandement pour ses liens avec les trafiquants, tandis que l’ancien commandant des forces armées, un proche allié de Duque surnommé «le parrain», a été formellement accusé d’utiliser l’armée pour protéger les intérêts d’un cartel de cocaïne.

Duque, assailli par les crises et largement détesté dans son propre pays, a semblé encouragé par ses rencontres avec Nuland. Il s’est vanté du fait que son gouvernement et Washington allaient partager «des informations de renseignement, des informations de sécurité nationale, où toute influence étrangère, ou tentative d’influence peut être identifiée dans notre processus électoral».

Dans le sillage immédiat de ces entretiens, Duque s’est envolé pour l’Europe où il a présenté le même discours sur l’ingérence électorale devant le Parlement européen et a tenu des réunions au siège de l’OTAN à Bruxelles. Il a juré que la Colombie, seul pays d’Amérique latine à être nommé «partenaire mondial» de l’alliance dirigée par les États-Unis, défendrait le droit de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN, suivant aveuglément son protecteur Washington sur le chemin de la troisième guerre mondiale.

Les États-Unis sont un garant improbable de l’intégrité des élections en Amérique latine, et la sous-secrétaire Nuland, une championne tout aussi improbable de la démocratie. La CIA s’est immiscée dans d’innombrables élections latino-américaines et a organisé des coups d’État sur tout le continent pour renverser les gouvernements élus qui ne sont pas favorables à l’impérialisme américain.

Quant à Nuland, elle est tristement célèbre pour son rôle dans la préparation du coup d’État de 2014 dirigé par des fascistes qui a renversé le gouvernement prorusse de Viktor Yanukovich Ukraine, installant un régime pro-occidental.

En 2013, Nuland s’est vantée que Washington avait «investi plus de 5 milliards de dollars» dans l’opposition ukrainienne, et en 2014, elle a été enregistrée lors d’un appel téléphonique avec l’ambassadeur américain en Ukraine, Geoffrey Pyatt, sélectionnant le chef d’un gouvernement post-coup d’État et discutant de la collaboration américaine avec des forces néofascistes comme le parti Svoboda.

La mission de Nuland à Bogota et les affirmations infondées d'ingérence électorale russe, recyclant des affirmations pareillement fabriquées par le Parti démocrate à propos de l'élection de 2016 aux États-Unis, ont tous les signes avant-coureurs d'une opération du type de celle qu'elle a organisée en Ukraine.

Elle fournit à Duque et à la droite colombienne la validation par Washington d’un prétexte pour abroger l’élection présidentielle prévue en mai prochain et empêcher la victoire de Gustavo Petro.

Petro, l’ancien maire de Bogota a fait tout ce qui était en son pouvoir pour prouver sa fiabilité à l’élite dirigeante colombienne. Il a évité toute association avec le socialisme et le gauchisme et se présentant comme le candidat anticorruption et pro-écologie. Néanmoins, sa victoire remettrait en question l’alignement diplomatique et militaire inconditionnel de la Colombie sur l’impérialisme américain en Amérique latine.

Dans le cadre du Plan Colombie, inauguré sous le gouvernement démocrate du président Bill Clinton en 1999, les États-Unis ont déversé quelque 10 milliards de dollars en Colombie entre 2000 et 2016. C’était pour financer une campagne anti-insurrectionnelle brutale menée au nom d’une «guerre contre la drogue». Ces sommes considérables ont assuré l’allégeance des militaires colombiens et des gouvernements de droite successifs à Washington. Elles ont également permis au Pentagone d’avoir accès à des bases sur le sol colombien et d’utiliser le pays comme rampe de lancement pour des tentatives de coup d’État contre le gouvernement du Venezuela voisin.

L’impérialisme américain ne peut rester indifférent au fait que ces arrangements soient bouleversés par le vote du peuple colombien.

Pendant son séjour en Colombie, Nuland a remis un chèque de 8 millions de dollars à la police nationale colombienne, soi-disant pour financer une formation aux «droits de l’homme». Créée dans les années 1950, la police nationale opère sous la direction du ministère colombien de la Défense en tant que force anti-insurrectionnelle pour combattre les guérillas de gauche et l’opposition sociale. Au cours des manifestations et des grèves de masse de l’année dernière, elle a été responsable du meurtre de dizaines de travailleurs et de jeunes. Ainsi que de la torture, du passage à tabac, des agressions sexuelles et de l’emprisonnement extrajudiciaire de nombreux autres.

Nuland a salué cette force répressive comme «l’épine dorsale de notre coopération pour renforcer la démocratie colombienne», protégeant ses «citoyens de toute forme d’influence et d’activité malveillante».

Cet hommage fait écho au langage utilisé à l’époque où Washington vantait les régimes de torture de Pinochet au Chili, de Videla en Argentine et de Médici au Brésil comme des bastions du «monde libre» contre «l’influence maligne» du socialisme.

La menace est très réelle que, alors que l’impérialisme américain se prépare à une guerre mondiale, Washington ressuscite les méthodes des coups d’État fascistes-militaires en Amérique latine.

La seule réponse à ce danger réside dans la construction d’un mouvement politique de masse de la classe ouvrière colombienne, indépendant de tous les partis bourgeois, y compris Petro et sa coalition du Pacte historique, et unifié avec les travailleurs de toute l’Amérique latine et du monde entier dans la lutte pour le socialisme.

(Article paru d’abord en anglais le 19 février 2022)