La junte militaire soudanaise va normaliser ses relations avec Israël dans un contexte de répression massive des Palestiniens.

Alors que le nouveau gouvernement d'extrême droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu intensifie sa répression meurtrière des Palestiniens, le chef de la junte militaire soudanaise, le général Abdel Fattah al-Burhan, a accepté de 'normaliser' les relations avec Israël dans un avenir proche.

Il s'agit d'une nouvelle trahison sordide des Palestiniens par un régime arabe qui a à peine été rapportée dans les médias arabes, et encore moins commentée ou critiquée.

Le chef des forces armées soudanaises, le général Abdel-Fattah Burhan, s’exprime lors d’une conférence de presse au commandement général des forces armées à Khartoum, au Soudan, le 26  octobre 2021. [AP Photo/Marwan Ali, File]

L’annonce s’est faite lors de la visite du ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, à Khartoum, la capitale soudanaise, où il a également abordé des questions militaires et de sécurité. La cérémonie de signature de l’accord de paix «aura lieu dans quelques mois à Washington après l’établissement d’un gouvernement civil… dans le cadre du processus de transition en cours dans le pays», dit un communiqué du ministère israélien des Affaires étrangères.

Le Soudan suit ici les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn – qui a sans aucun doute reçu le feu vert de l’Arabie saoudite – et le Maroc qui ont normalisé leurs relations avec Israël dans le cadre des «Accords d’Abraham» négociés par le gouvernement Trump. L’Égypte et la Jordanie ont eux, reconnu Israël en 1979 et 1994 respectivement. Ces accords, établissent des relations diplomatiques et commerciales, ont mis fin à l’état de guerre et de boycott des membres de la Ligue arabe depuis la création de l’État d’Israël, la guerre israélo-arabe et le déplacement de 700.000  Palestiniens en 1948.

Les accords ont mis en évidence leurs relations secrètes avec Israël dans les domaines de la sécurité, du renseignement et du commerce, ainsi que leur rejet de tout engagement en faveur de l’établissement d’un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale – basé sur le retrait total d’Israël des territoires capturés dans la guerre israélo-arabe de 1967 et un «règlement juste» du problème des réfugiés palestiniens, sur la base de la résolution  194 des Nations unies.

C’est à Khartoum, après la guerre israélo-arabe de 1967, que la Ligue arabe a inauguré de façon célèbre sa politique des «trois non» à l’égard d’Israël: pas de paix, pas de reconnaissance et pas de négociations. Aujourd’hui, en ce qui concerne les régimes arabes, les Palestiniens ne comptent plus.

Alors que le Soudan avait accepté les Accords d’Abraham en novembre 2020, signant avec les États-Unis en échange d’un ensemble d’incitations financières vitales, dont le retrait tant attendu du Soudan de la liste des États soutenant le terrorisme établie par Washington, il n’avait pas signé l’accord avec Israël. Les discussions se sont enlisées après le limogeage par l’armée du Premier ministre Abdalla Hamdok et de son gouvernement civil de transition en octobre 2021, lorsque le gouvernement Biden a suspendu une aide financière de 700  millions de dollars au Soudan.

Cohen, lors d’une conférence de presse le 2 février, a déclaré que sa visite au Soudan avait jeté «les bases d’un accord de paix historique avec un pays arabe et musulman stratégique. L’accord de paix entre Israël et le Soudan favorisera la stabilité régionale et contribuera à la sécurité nationale de l’État d’Israël». Cette signature «servira d’occasion pour l’établissement de relations avec d’autres pays d’Afrique ainsi que pour le renforcement des liens existants avec les pays africains».

Le Soudan occupe une position stratégique importante sur les rives de la mer Rouge, entre l’Égypte et l’Érythrée, où il contrôle les routes maritimes. Il est voisin de l’Éthiopie, l’un des principaux alliés d’Israël sur le continent africain, dont le dirigeant Abiy Ahmed a effectué sa première visite au Soudan depuis le coup d’État militaire.

Sous le régime du dictateur Omar al-Bachir, aligné sur le Qatar, la Turquie et les Frères musulmans et qui avait soutenu le Hamas, le groupe clérical bourgeois qui contrôle la bande de Gaza, le Soudan avait fait l’objet à plusieurs reprises de bombardements israéliens de convois qui auraient transporté des armes et des munitions au Hamas.

Al-Burhan, suite à son coup d’État militaire préventif face aux manifestations de masse contre al-Bachir en avril 2019, a répudié l’alliance du Soudan avec les Palestiniens et le Hamas, afin de garantir la sécurité et les accords commerciaux avec Israël. Cela faisait partie d’une tentative de gagner les faveurs de Washington dans un contexte de crise économique et politique profonde. Bien qu’il ait annoncé un accord-cadre en décembre, après des mois de manifestations et de répression où 120  manifestants ont été tués – pour une transition civile de deux ans vers des élections – cet accord est largement considéré comme une nouveau prétexte frauduleux pour un régime militaire et a été accueilli par des protestations massives.

Des manifestants défilent le vendredi 1er  juillet 2022 à Khartoum, un jour après que neuf personnes aient été tuées lors de manifestations contre les généraux au pouvoir.

Le gouvernement Biden est déterminé à rompre les relations du Soudan avec l’Iran, la Russie et la Chine, à fermer le grand port de Port-Soudan sur la mer Rouge à la marine russe et à renforcer son alliance régionale anti-iranienne.

Les Émirats arabes unis, qui ont signé de nombreux accords commerciaux pour ouvrir des zones économiques et des ports au Soudan, et l’Égypte, ont salué la normalisation. Le Hamas a condamné cette décision, qui «contredit la position générale du Soudan. Ce dernier s’oppose à la normalisation des liens avec l’État d’occupation israélien et soutient la juste cause palestinienne». Le Hamas a appelé «les dirigeants soudanais à revenir sur cette décision qui va à l’encontre des intérêts du peuple frère du Soudan et ne ferait que servir l’agenda de l’occupation israélienne».

Ce dernier accord de normalisation intensifie le rôle traître de la bourgeoisie arabe qui a maintenant formellement enterré sa propre solution à «deux États». Il confirme que l’agenda nationaliste défendu par toutes les sections de la bourgeoisie palestinienne n’offre aucune voie d’avenir à la lutte de plusieurs décennies des travailleurs et des masses opprimées.

Jeudi 2 février, le président tchadien Mahamat Idriss Deby, qui a pris le pouvoir après la mort de son père, le dictateur Idriss Deby, tué par les forces rebelles en 2021, a ouvert l’ambassade du pays à Ramat Gan, dans la banlieue de Tel-Aviv, quelque 50  ans après la rupture des liens diplomatiques en 1972. Le Tchad est membre de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), fondée en 1969 après l’incendie de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, apparemment déclenché par un fondamentaliste chrétien. Comme la Ligue arabe, l’OCI s’est ostensiblement engagée en faveur d’une solution à deux États au conflit israélo-palestinien et d’un boycott des produits israéliens pour faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à l’occupation. En établissant des relations avec le Tchad, l’un des pays les plus pauvres du monde, Netanyahou signale que les Palestiniens ne figurent pas à l’ordre du jour des États arabes ou musulmans.

Ces développements interviennent quelques semaines à peine après l’installation du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël, qui comprend des partis fascistes et racistes basés sur les colons juifs, et des partis ultra-orthodoxes qui cherchent à réprimer non seulement les Palestiniens, mais aussi les sections plus laïques de la population juive.

Ce gouvernement a intensifié la répression déjà sauvage d’Israël à l’encontre des Palestiniens dans le cadre de son programme d’expansion accélérée des colonies et de ses démarches en vue d’une annexion complète des territoires palestiniens illégalement occupés depuis la guerre israélo-arabe de 1967. Cette répression va de pair avec l’imposition de conditions d’apartheid encore plus généralisées pour les Palestiniens, notamment une loi qui facilite la disqualification des législateurs arabes, et des provocations dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa.

L’année dernière, 231  Palestiniens ont perdu la vie dans des exécutions extrajudiciaires aux mains de l’armée et des colons israéliens, soit le nombre le plus élevé depuis 2005. Quelque 35  Palestiniens ont déjà été tués cette année. L’un des facteurs dans le raid massif de l’armée israélienne sur Jénine le mois dernier, qui a fait 10  morts et 20  blessés – tout en terrorisant la population palestinienne – était était de provoquer des représailles de la part de Palestiniens désespérés afin de détourner la colère contre le gouvernement vers l’extérieur et de démobiliser les manifestations anti-gouvernementales.

Un élément clé des plans expansionnistes de Netanyahou aux dépens des Palestiniens et de la classe ouvrière israélienne est le renforcement des pouvoirs du gouvernement – à travers la neutralisation du système judiciaire. Une mesure au service des ploutocrates israéliens qui dirigent l’un des pays les plus socialement polarisés du groupe des économies avancées de l’OCDE, soulevant le spectre de la guerre civile.

Le plan de «réforme» des tribunaux a suscité une opposition massive. Des manifestations hebdomadaires protestent depuis cinq semaines contre les plans du gouvernement. Samedi a eu lieu une nouvelle manifestation de ce type, avec une participation croissante dans tout le pays. Des dizaines de milliers de gens sont descendus dans les rues de Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa et d’autres villes. Des groupes anti-occupation comme Combattants pour la paix, Machsom Watch, Peace Now et Une terre pour tous ont manifesté à Tel-Aviv sous le slogan «Il n’y a pas de démocratie avec l’occupation».

Des manifestations ont également eu lieu dans une vingtaine de villes en Amérique du Nord, en Europe et en Australie.

Les récents événements ont mis à nu le double mythe politique du Moyen-Orient. Premièrement, la transformation de l’Organisation de libération de la Palestine en auxiliaire répressif de l’État israélien et, par extension, de l’impérialisme américain – imposant l’appauvrissement des masses palestiniennes – réfute l’idée que le nationalisme bourgeois, même dans sa forme plus radicale de la lutte armée, puisse mettre fin à l’oppression des masses arabes. Deuxièmement, l’émergence d’un gouvernement fasciste en Israël et la perspective très réelle d’une guerre civile anéantissent toute conception que l’instauration d’un État juif fondé sur la dépossession et l’élimination du peuple palestinien puisse offrir un refuge sûr au peuple juif.

De dures expériences historiques démontrent l’échec des mouvements et des programmes basés sur le nationalisme, qui servent les intérêts d’une couche sociale étroite, la classe capitaliste, et non ceux de la classe ouvrière. La condition préalable essentielle pour mettre fin à la répression, à la pauvreté et à la guerre au Moyen-Orient est l’unification des travailleurs israéliens avec leurs frères et sœurs de classe des territoires palestiniens, de tout le Moyen-Orient et du monde, pour mettre fin au capitalisme et réorganiser la société sur une base socialiste. C’est la perspective de la révolution permanente pour laquelle se bat le Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 6 février 2023)