Alors qu’il prêche l’austérité pour les centaines de milliers de travailleurs du secteur public et qu’il coupe dans les services publics, le gouvernement de droite de la Coalition avenir Québec (CAQ) vient d’annoncer une aide financière de plusieurs milliards de dollars à l’entreprise suédoise Northvolt pour la construction et l’exploitation d’une usine de fabrication de cellules de batterie sur la Rive-Sud de Montréal.
Northvolt, qui a été fondée en 2015 par deux ex-hauts dirigeants de Tesla, installera sa «méga-usine» de fabrication de cellules de batteries lithium-ion pour véhicules électriques (VE) sur les terrains de l’ancienne usine d’explosifs de la Canadian Industries Limited (CIL) dont elle vient de faire l’acquisition.
Le site chevauche les municipalités de McMasterville et Saint-Basile-le-Grand. L’usine aura une superficie de 120 hectares, c’est-à-dire 75 terrains de football. Environ 3.000 emplois seraient créés, un chiffre peu important en relation avec la taille de l’usine et qui s’explique, selon les dirigeants de Northvolt, par le fait qu’il s’agit d’«une installation de haute technologie […] robotisée pour la plupart des opérations».
Le coût de construction de l’usine est estimé à 7 milliards de dollars canadiens. Le gouvernement du Québec dirigé par l’homme d’affaires multimillionnaire François Legault fournira 1.37 milliard pour la construction de l’usine sous forme de prêts (376 millions), de subventions (436 millions) et de prise de participation dans l’entreprise (567 millions). Si l’usine devient opérationnelle, il subventionnera la production de cellules à hauteur de 1,5 milliard de dollars, pour un total de presque 3 milliards de dollars.
De son côté, le gouvernement fédéral des libéraux de Justin Trudeau fournira 1.34 milliard pour la construction de l’usine en subventions (400 millions) et en prêts et en prise de participation (900 millions). Le fédéral subventionnera ensuite la production pour 3,1 milliards.
Dans les jours suivant cette annonce initiale du 27 septembre, il a été révélé que l’aide gouvernementale «pourrait dépasser les 7 milliards», car les gouvernements se sont aussi engagés à aider Northvolt pour la réalisation de la «deuxième phase de son complexe».
Selon le ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibon, «l’investissement [pour la deuxième phase] ça va être un peu moins que 7 milliards et plus que 5 milliards, disons». Pour l’instant, aucun détail n’a filtré sur ce que serait la part du gouvernement du Québec et celle du fédéral pour la deuxième phase, mais il est probable que l’aide gouvernementale totale octroyée à Northvolt dépasse 10 milliards de dollars.
Et ce montant ne représente que l’aide gouvernementale directe dont bénéficiera la multinationale suédoise. En effet, afin d’attirer l’entreprise au Québec, le gouvernement Legault s’est engagé à lui fournir l’électricité nécessaire pour faire fonctionner l’usine, entre 200 et 360 mégawatts, au tarif dérisoire applicable aux entreprises grandes consommatrices d’énergie (tarif L).
Le tarif L, déjà 30% moins élevé que le tarif résidentiel, n’est presque jamais appliqué puisque le gouvernement négocie des rabais avec les grandes entreprises «en échange» des emplois créés. À la fin octobre, Radio-Canada a révélé que près de la moitié des entreprises qui profitent du tarif L, soit une centaine des plus grandes compagnies œuvrant au Québec, bénéficient d’un rabais additionnel pouvant aller jusqu’à 20% du prix de l’électricité.
Invoquant la «confidentialité», le gouvernement et les représentants de Northvolt ont refusé de dire si l’entreprise bénéficiera du rabais, laissant peu de doute que ce sera bien le cas. C’est plusieurs dizaines de millions de dollars additionnels qui seront ainsi donnés à Northvolt chaque année.
Bien que ce soit la plus importante à ce jour, l’aide fournie par Québec à Northvolt s’inscrit dans une série de cadeaux à la grande entreprise liée au boom du marché des VE. Avant Northvolt, le gouvernement Legault avait déjà annoncé des «investissements» de 15 milliards de dollars dans la «filière batterie» pour des projets d’extraction minière des matières premières, de transformation de celles-ci en composantes et de construction d’usines de fabrication de batteries.
D’autres annonces devraient avoir lieu pour porter l’investissement total à 30 milliards d’ici la fin de l’année 2024. D’autres projets, d’une valeur de 20 milliards de dollars, ont dû être ralentis en raison du manque d’électricité. En effet, tous ces projets énergivores ont réduit à néant les surplus d’Hydro-Québec et la société d’État a récemment annoncé qu’elle allait devoir revoir à la hausse de façon considérable ses objectifs d’augmentation de production.
Ces massifs investissements gouvernementaux viennent accélérer un processus en cours depuis des décennies par lequel l’État capitaliste met toutes les ressources de la société, qui sont produites par le labeur de la classe ouvrière, à la disposition de la grande entreprise. Des milliards de dollars d’argent public seront ainsi engloutis dans la construction d’usines entièrement privées qui auront pour seul objectif de créer des profits pour une poignée de riches.
Pour payer ces cadeaux somptueux, l’élite dirigeante va aussi intensifier ses attaques sur les conditions de travail et les services sociaux. Alors qu’il était photographié souriant aux côtés de Trudeau et des représentants de Northvolt, Legault se préparait à une confrontation avec les quelque 600.000 travailleurs du secteur public québécois, bien déterminé à leur imposer, avec la complicité des appareils syndicaux, des «augmentations» de salaire sous l’inflation, une diminution de leurs fonds de retraite et une augmentation de leur charge de travail déjà intenable.
De plus, dans sa récente mise à jour budgétaire, la CAQ a annoncé une somme misérable de quelques dizaines de millions de dollars – une fraction de la somme octroyée à Northvolt – pour faire face aux crises sociales causées par les opioïdes et la pénurie de logements alors que des milliards de dollars seraient nécessaires.
Ce faisant, l’élite capitaliste démontre, une fois de plus, que son refrain «qu’il n’y a pas d’argent» veut dire qu’il n’y a pas d’argent pour répondre aux besoins de la population, mais dès qu’il s’agit d’enrichir les patrons, c’est plutôt: «il n’y a pas de limite».
L’aide financière à Northvolt survient aussi dans un contexte de restructuration majeure de l’industrie mondiale de l’automobile alors que les entreprises délaissent peu à peu la production des véhicules à essence en faveur des VE, et se préparent à éliminer des centaines de milliers d’emplois dans le monde.
Les compagnies automobiles, dont les «trois grands de Détroit», utilisent cette transformation pour mener une attaque massive sur les emplois et les conditions des travailleurs de tous les pays, y compris le Canada, avec la pleine complicité des appareils syndicaux nationalistes et pro-capitalistes.
Les fabricants automobiles et une myriade d’autres entreprises qui, comme Northvolt, occupent une place ou une autre dans le processus de fabrication des batteries pour VE, utilisent aussi le boom dans ce marché pour placer les gouvernements en compétition les uns contre les autres et ainsi obtenir des milliards de dollars à titre d’aide financière pour faire augmenter leurs profits.
En Ontario, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial de droite de Doug Ford ont consenti près de 30 milliards de dollars à Stellantis et à Volkswagen pour la construction de deux usines de batteries.
Ces développements s’inscrivent dans l’objectif du gouvernement libéral fédéral et de toute la classe dirigeante canadienne de garantir à l’impérialisme canadien une place de choix dans l’industrie mondiale émergente des VE en développant une chaine d’approvisionnement nationale complète, de l’extraction des matériaux dans des mines canadiennes à la fabrication des batteries et à l’assemblage des VE.
Cet objectif s’inscrit dans la continuation et l’intensification des préparatifs des impérialismes américain, canadien et européen pour une confrontation économique et militaire avec la Chine. Non seulement le transfert des chaines d’approvisionnement hors de la Chine est-il vu comme une façon de réduire la «dépendance» envers la Chine et de nuire à l’économie chinoise; mais aussi, la création de chaines d’approvisionnement internes pour les VE, dont plusieurs composantes sont aussi vitales pour l’industrie de l’armement, est nécessaire aux yeux des puissances de l’OTAN pour passer à une économie de guerre le moment venu.
La classe ouvrière, au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, doit développer sa propre stratégie devant les changements liés aux VE et lutter pour placer ces avancées technologiques sous le contrôle démocratique des travailleurs.
Ces avancées ne doivent pas servir d’instrument à la grande entreprise pour extraire plus de profits des travailleurs et construire la machine de guerre impérialiste. Elles doivent être placées au service de la société en son ensemble – par exemple en profitant du fait que les VE nécessitent moins de main-d’œuvre que les véhicules à essence pour réduire la durée de la journée de travail sans réduction de la paie.
Cela doit s’inscrire dans la perspective plus large d’une lutte politique des travailleurs pour une transformation révolutionnaire de la société vers une économie planifiée et coordonnée à l’échelle mondiale afin de satisfaire les besoins sociaux de tous, et non le profit individuel.