La milice M23, appuyée par 4 000 soldats rwandais, a pris Goma – la plus grande ville de la province du Nord-Kivu, riche en minéraux, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) – et avance maintenant vers Bukavu, la capitale du Sud-Kivu et la deuxième plus grande ville de l'est de la RDC.
Au moins 700 personnes ont été tuées et plus de 2 800 blessées, selon les Nations Unies, et des centaines de milliers de Congolais ont été contraints de fuir.
Le M23 contrôle désormais la quasi-totalité du Nord-Kivu et les vastes richesses minérales de la province, notamment l'étain (cassitérite), le tantale (coltan), le tungstène (wolframite) et l'or, qui sont essentiels à la production électronique et industrielle mondiale. Le Sud-Kivu est également riche en minerais et dispose de terres fertiles pour le café, le thé, la quinine et l'huile de palme.
Le chef du M23, Corneille Nangaa, a promis de « continuer la marche de libération jusqu'à Kinshasa», la capitale de la RDC.
L'avancée vers Bukavu, où vivent deux millions d'habitants, risque de dégénérer en affrontement généralisé opposant M23 et forces rwandaises aux troupes de la RDC, aux soldats burundais et aux milices pro-gouvernementales de la RDC. Selon Reuters, ces forces ont été déployées pour défendre la ville de Nyabibwe, à environ 50 km au nord de Bukavu. Des sources de l'ONU estiment à plusieurs milliers le nombre de soldats burundais, tandis qu'un responsable burundais a déclaré à Reuters qu'ils étaient entre 8 000 et 10 000.
Les tensions entre le Rwanda et l’Afrique du Sud s’intensifient également après que 13 soldats sud-africains, déployés dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’ONU, ont été tués par le M23. Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, la ministre sud-africaine de la Défense, Angie Motshekga, a averti ainsi le Rwanda: «Si vous tirez sur nous, nous prendrons cela comme une déclaration de guerre et nous devrons défendre nos gens.»
Le président rwandais Paul Kagame a répliqué en accusant l'Afrique du Sud de faire partie d'une «force belligérante» impliquée dans des «opérations de combat offensives» pour aider le gouvernement de la RDC à «lutter contre son propre peuple». Le gouvernement rwandais affirme qu'il intervient pour éradiquer en RDC les milices liées au génocide rwandais de 1994. Il a accusé l'armée congolaise de s’allier au Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR), dirigé par des Hutus – issu des restes des forces responsables des massacres. De nombreux analystes voient là un prétexte pour prendre le contrôle de la région riche en minerais du Nord et du Sud-Kivu.
Le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, a déclaré jeudi: «Nous sommes prêts à nous défendre si nous sommes attaqués par une coalition comprenant des forces sud-africaines.»
L'Ouganda, présidé par Yoweri Museveni et allié aux États-Unis et au Royaume-Uni, et qui maintient des troupes dans l'est de la RDC sous prétexte de se défendre contre les milices anti-Museveni, a annoncé qu'il allait «adopter une posture défensive avancée» en réaction à la reprise des combats entre l'armée congolaise et les rebelles du M23. Comme le Rwanda, l'Ouganda pille les richesses minières de la RDC depuis des décennies.
Le désastre en cours est indissociable d’une dérive plus large des États africains vers des guerres orchestrées par les puissances impérialistes et par les cliques issues des processus post-indépendance des années 1950 et 1960.
C’est là un héritage empoisonné du nationalisme bourgeois africain qui, dans sa quête d’indépendance capitaliste, a maintenu les frontières coloniales artificielles imposées pendant la ruée vers l’Afrique des années 1880. Certains de ces mouvements nationalistes ont été soutenus par la bureaucratie stalinienne soviétique dans ses manœuvres avec l’impérialisme et célébrés par les organisations pablistes, anti-trotskystes, qui leur ont attribué un vernis «anti-impérialiste» et même marxiste.
Pendant ce temps, les puissances impérialistes ont mené des guerres à travers le continent pour s’assurer le contrôle de ses vastes ressources. Cet effort s’est intensifié avec la montée de la concurrence de la Chine capitaliste qui est désormais le plus grand investisseur et négociant en Afrique.
Dimanche, les ministres des Affaires étrangères du G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et États-Unis) ont condamné l’offensive du M23 soutenue par le Rwanda et ont exhorté «le M23 et les Forces de défense rwandaises (RDF) à cesser leur offensive dans toutes les directions. […] Cette offensive constitue un mépris flagrant pour la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC. Nous condamnons également l’intention du M23 de poursuivre son expansion au Sud-Kivu.»
Les États-Unis et leurs alliés du G7 prônent la souveraineté et l’intégrité territoriale, tout en intervenant systématiquement en RDC depuis plus d’un siècle pour s’assurer le contrôle de ses vastes richesses minières. En 1961, la CIA a orchestré l’assassinat de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre de la RDC, et a soutenu le régime brutal de Mobutu Sese Seko pendant des décennies. Lorsque Mobutu est tombé en disgrâce dans les années 1990, Washington a soutenu un changement de régime en utilisant l’Ouganda et le Rwanda comme forces de procuration pour installer Laurent-Désiré Kabila au pouvoir.
Les gouvernements africains concernés et les puissances impérialistes ne cherchent pas à maintenir la paix, mais à utiliser la crise pour avancer leurs pions stratégiques dans la guerre pour les minéraux et les ressources, et comme moyen de détourner les tensions sociales intérieures croissantes vers l'extérieur et contre un ennemi étranger. Ils sont tous dirigés par des régimes profondément impopulaires et détestés des masses.
Le président rwandais Kagame est au pouvoir depuis plus de trois décennies grâce à un État policier qui interdit toute opposition politique. Il est soutenu par des bailleurs de fonds occidentaux, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, qui fournissent une aide étrangère substantielle représentant un tiers du budget du Rwanda. Pourtant, le pays reste extrêmement pauvre, il se classe dans le tiers inférieur des pays africains en termes de PIB par habitant, avec seulement 966 dollars par an. Près de la moitié des Rwandais vivent dans la pauvreté, un cinquième sont confrontés à l'insécurité alimentaire et près d'un tiers des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique.
Kagame et ses complices ont amassé d'énormes richesses, en grande partie pillées dans les mines de la RDC voisine. Kagame contrôle Crystal Ventures Ltd, la branche d'investissement du parti au pouvoir, dont les actifs sont estimés à plus de 500 millions de dollars, avec des participations dans la construction, l'immobilier, l'industrie manufacturière et les télécommunications.
A la tête de la RDC est le président Félix Tshisekedi au pouvoir depuis 2019. Sa cote de popularité est passée de 73 pour cent à 30 pour cent parmi les citoyens congolais. Il fut réélu en décembre 2023 à l’issue d’un processus entaché d’allégations d’irrégularités et de fraudes.
La RDC reste l’un des pays les plus pauvres et les plus inégalitaires au monde, malgré des richesses naturelles évaluées à 23 000 milliards de dollars. Les deux tiers de la population vivent en dessous du seuil international de pauvreté, et des millions de gens ont du mal à accéder aux services de base tels que les soins de santé, l’éducation et l’eau potable. Parallèlement, les élites qui entretiennent des liens étroits avec les trusts internationaux et les puissances impérialistes disposent de réseaux illicites qui facilitent le pillage des ressources par l’intermédiaire des seigneurs de guerre et des milices. Forbes a documenté que la fortune de l’ancien président Joseph Kabila, dont la présidence a été soutenue par les États-Unis, s’élevait à environ 2 milliards de dollars.
Tshisekedi utilise désormais la guerre pour consolider son soutien en baisse sous le drapeau de l’unité nationale. Il a déploré le manque de soutien des puissances impérialistes, dénonçant le «silence et l’inaction» de la «communauté internationale».
En Afrique du Sud, le Congrès national africain (ANC) est au pouvoir depuis la fin du régime haï de l’apartheid. Pourtant, plus de 55 pour cent des Sud-Africains vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté national, et plus de 30 millions (soit près de la moitié de la population) survivent avec moins de 67 dollars par mois. Le taux de chômage, de 32 pour cent, reste l’un des plus élevés au monde, le chômage des jeunes (15-24 ans) étant lui, de 60 pour cent. Des millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité et à l’eau courante, et les coupures de courant se multiplient depuis quelques années, paralysant les entreprises et la vie quotidienne.
Alors que les Sud-Africains blancs continuent de contrôler la majeure partie des richesses du pays, le programme d'émancipation économique des Noirs de l'ANC a bénéficié à une petite élite d'hommes d'affaires, de politiciens et de dirigeants syndicaux noirs qui ont amassé des fortunes considérables. Parmi eux, le président Cyril Ramaphosa, ancien dirigeant du syndicat des mineurs devenu homme d'affaires et dont la fortune personnelle est estimée à 450 millions de dollars.
L'ANC a récemment commis un crime horrifiant à la mine de Stilfontein, où au moins 78 corps ont été retrouvés après des mois de blocus gouvernemental, privant de nourriture des milliers de mineurs pauvres. Cela, dans le cadre d’une répression visant 30 000 mineurs dits «illégaux», menée par l'ANC.
Le Burundi reste l'un des pays les plus pauvres du monde. Plus de 70 pour cent de sa population vivent sous le seuil de pauvreté. Les populations rurales sont confrontées à des difficultés encore plus grandes dû à leur dépendance de l'agriculture de subsistance, de la pénurie de terres et des chocs climatiques. Une petite élite liée au Conseil national pour la défense de la démocratie (CND), au pouvoir depuis plus de deux décennies, jouit de richesses et de privilèges, contrôlant des secteurs clés comme les industries extractives liées aux gisements de nickel, de terres rares, de coltan, d'étain et de tungstène.
Une fois de plus, le continent africain se transforme en un champ de bataille où trusts rivaux, puissances impérialistes et mandataires locaux se livrent à des conflits de plus en plus sanglants. La menace imminente d’une troisième guerre du Congo – après les deux conflits dévastateurs des années 1990 qui ont coûté la vie à six millions de personnes, principalement des civils, dû à la famine et aux maladies – souligne la nécessité de se libérer de la domination impérialiste. Une telle lutte ne peut être laissée aux mains des élites dirigeantes africaines, qui agissent comme des intermédiaires pour les intérêts impérialistes. Elle doit être menée par la classe ouvrière, en alliance avec les masses rurales, à travers une lutte révolutionnaire pour le pouvoir.
(Article paru en anglais le 2 février 2025)