Quinze ans après le tremblement de terre qui l’a dévasté, Haïti se transforme en camp de concentration

Des Marines américains patrouillant dans les rues de Port-au-Prince, en Haïti, en mars 2004 [Photo: DoD]

Le 12 janvier 2025 marquait le 15e anniversaire du séisme de 2010 en Haïti [7,0 sur l’échelle de Richter] qui, avec 52 répliques 12 jours plus tard [magnitude 4,5 et plus], a secoué Haïti et tué plus de 200 000 personnes, blessé plus de 300 000 et fait 1,3 million de sans-abri. Faute d’une assistance même minimale, de nombreux survivants ont dû se dégager eux-mêmes des décombres. Des centaines de milliers d’Haïtiens sont toujours aux prises avec les effets de l’une des plus grandes catastrophes naturelles jamais survenues dans les Amériques.

Cette catastrophe naturelle s'ajoute à une catastrophe sociale en cours, produite par l'impérialisme américain qui a imposé une dictature et transformé cette nation des Caraïbes en un camp de concentration de 27 750 km2.

Un événement clé à l'origine de ce désastre social s'était produit six ans plus tôt, lorsque le gouvernement élu du président Jean Aristide avait été renversé par la CIA. Aristide avait été arrêté avec sa famille et secrètement emmené en Afrique alors qu'un régime pro-impérialiste était mis en place et que les Marines américains occupaient l'île.

Aujourd’hui, Haïti est dirigé par le Core Group, une alliance non élue composée des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de l’[organisation intergouvernementale caribéenne] Caricom et de l’Organisation des États américains. Le Core Group est à tous égards dominé et financé par le gouvernement américain et par des intérêts financiers mondiaux.

Le récit actuel, selon lequel la société haïtienne est dominée par des gangs qui, avec une brutalité sans précédent, contrôlent les quartiers urbains de Port-au-Prince et d’autres villes et villages, ne parle pas du rôle de l’impérialisme américain dans l’armement de ces groupes. Plus que des gangs, ceux-ci sont des «escadrons de la mort» paramilitaires chargés de terroriser la classe ouvrière urbaine et rurale, et sont alliés aux élites corrompues et aux multinationales.

Le recours aux escadrons de la mort pour poursuivre les objectifs de l’impérialisme américain n’est pas propre à Haïti. Ils ont été utilisés pour terroriser la classe ouvrière dans toute l’Amérique centrale, au Salvador, au Honduras, au Guatemala et au Nicaragua. Ces «gangs» ont également opéré en Colombie et dans le Cône Sud de l’Amérique du Sud pour assassiner et faire disparaître des travailleurs et des jeunes.

En Haïti, les «gangs» sont des émanations de la tristement célèbre organisation paramilitaire des «Tontons Macoutes», créée par la dictature des Duvalier soutenue par les États-Unis en 1959 et rebaptisée Milice de Volontaires de la Sécurité Nationale ( MVSN) en 1971.

En janvier 2024, environ 200 de ces «gangs» dérivés des Tontons Macoutes opéraient en Haïti, dont près de la moitié étaient basés à Port-au-Prince, où ils contrôlaient les quartiers populaires pauvres de la ville. Ils se sont regroupés en deux coalitions, le G9 et le G-Pep.

Selon les termes d’une étude réalisée en 2010 par le Conseil des affaires hémisphériques (deux mois après le tremblement de terre), les escadrons de la mort haïtiens sont véritablement «le système nerveux central du règne de la terreur en Haïti».

Tout récemment, des troupes du Kenya et d’autres pays ont été envoyées en Haïti pour mener des opérations de maintien de l’ordre, aux côtés des escadrons de la mort. Toutes ces forces sont financées par les États-Unis.

Malgré ce règne de terreur persistant contre les travailleurs haïtiens, avant et après le tremblement de terre de 2010, les masses haïtiennes se sont mobilisées à plusieurs reprises dans la lutte révolutionnaire et ont lutté contre les régimes dictatoriaux successifs, notamment lors d’une vague massive de manifestations populaires en 2018.

Un deuxième tremblement de terre (magnitude 7,2) secoua la péninsule sud d'Haïti en 2021, faisant 2 000 morts; environ 500 000 personnes ont eu besoin d'une aide humanitaire d'urgence.

Les effets des tremblements de terre de 2010 et 2021 se font encore sentir: on estime que 5,4 millions de personnes, soit près de la moitié de la population d'Haïti, souffrent de malnutrition et vivent avec un seul repas par jour ou moins; plus d'un million sont toujours sans abri; et actuellement, six mille Haïtiens sont confrontés à la famine.

Haïti a le produit intérieur brut par habitant (2 700 dollars américains) et l’espérance de vie (63 ans) les plus faibles des Amériques.

Haïti partage une frontière de 400 kilomètres avec la République dominicaine. En 2023, Luis Abinader, l'homme le plus riche de la République dominicaine et actuel président, a ordonné la construction d'un mur le long de la frontière, affirmant à tort qu'Haïti s'appropriait illégalement l'eau de la rivière Dajabon, sur la partie nord de la frontière. Il a également fait valoir qu'un mur était nécessaire pour assurer la sécurité de la République dominicaine contre les gangs haïtiens et le trafic de drogue.

En octobre dernier, le gouvernement d'Abinader a annoncé son intention d'expulser 10 000 immigrants haïtiens par semaine, y compris des travailleurs de la canne à sucre et d'autres travailleurs qui résidaient dans le pays depuis des décennies, avec pour objectif ultime d'expulser 1,5 million d'immigrants haïtiens.

Le 4 février, le premier vol d’haïtiens expulsés en provenance des États-Unis a atterri à l'aéroport de Cap- Haïtien, dans le nord d'Haïti. Le lendemain, le secrétaire d'État de Trump, Marco Rubio, est arrivé en République dominicaine pour approuver le programme des expulsions d'Abindar.

La semaine dernière, 500 immigrants haïtiens ont été expulsés de la République dominicaine par une étroite ouverture dans le mur frontalier, dans une scène qui rappelle la déportation des juifs dans les camps de concentration nazis. Certains ont été interviewés par NBC et AP News : «C’étaient les premiers expulsés de la journée, certains encore vêtus de vêtements de travail et d’autres pieds nus alors qu’ils faisaient la queue pour de la nourriture dans la ville frontalière haïtienne de Belladère avant de réfléchir à leur prochaine action… ‘Ils ont défoncé ma porte à 4 heures du matin’, a déclaré Odelyn St. Fleur, qui avait travaillé comme maçon en République dominicaine pendant deux décennies. Il dormait à côté de sa femme et de son fils de 7 ans ».

Parmi les personnes expulsées à la frontière se trouvent des femmes enceintes, des enfants dominicains d'immigrants haïtiens, des retraités et des personnes souffrant de maladies chroniques.

L'article de l'AP rapporte également la réaction des travailleurs dominicains en défense de leurs frères de classe haïtiens :

«L’année dernière, un groupe de Dominicains, indignés par ce qu’ils considéraient comme le traitement et l’arrestation de leurs voisins haïtiens, ont jeté des pierres, des bouteilles et d’autres objets sur les autorités. Un homme a tenté de désarmer un agent de l’immigration avant que des coups de feu ne soient tirés et que tout le monde ne se disperse.»

Les patrouilles navales de la marine des Bahamas, des navires de guerre britanniques, de la patrouille frontalière cubaine et des garde-côtes américains ont pour mission de fermer le périmètre du camp de concentration haïtien, dans le cadre d'une opération de blocus visant à empêcher les réfugiés haïtiens de quitter leur pays. Les navires de guerre britanniques ont pour objectif d'empêcher les Haïtiens de chercher refuge dans la colonie britannique des îles Turques-et-Caïques. L'État de Floride participe également au blocus, en augmentant ses patrouilles maritimes et aériennes.

Si le blocus est destiné à empêcher la circulation des personnes, on ne peut pas en dire autant de l’entrée d’armes en provenance des États-Unis et d’autres pays pour armer et fournir des munitions aux escadrons terroristes (80 pour cent d’entre elles proviennent des États-Unis).

Selon une étude de CNN publiée en mai dernier, malgré le blocus naval, «les armes et la drogue continuent d’affluer, traversant les eaux internationales et l’espace aérien pour atteindre le pays assiégé – la plupart des armes provenant des États-Unis». Une grande partie de ces armes proviennent de Floride, l’un des participants au blocus qui encercle Haïti, et sont la source d’énormes profits pour les marchands d’armes.

Haïti est un pays exportateur de produits agricoles et de vêtements, source de profit pour les multinationales et les élites fortunées qui vivent dans des zones privilégiées proches de Port-au-Prince, entourées de bidonvilles et protégées par les escadrons de la mort. Ces élites profitent des salaires de misère et des conditions de travail terribles imposées par la terreur. Haïti dispose également d'importantes réserves de pétrole ainsi que d'importantes réserves minières, prêtes à être exploitées par les sociétés américaines et européennes.

L’une des plus grandes sources de dollars entrant en Haïti est l’argent envoyé par la diaspora haïtienne aux États-Unis, au Canada, en République dominicaine et dans d’autres pays. Ces fonds vont sûrement diminuer avec l’expulsion massive de travailleurs haïtiens des États-Unis, qui s’accélère actuellement sous l’effet de la politique fasciste de Donald Trump.

Quinze ans après le séisme haïtien et dans le contexte de la catastrophe déclenchée par le capitalisme, sa course au profit et ses préparatifs de guerre impérialistes, Haïti s'est transformé en l'un des plus grands camps de concentration du monde. Son peuple est confronté à un lent génocide provoqué par la famine, la maladie et les escadrons de la terreur, armés par l'impérialisme américain et au service des élites locales et des sociétés transnationales qui, depuis les tremblements de terre de 2010 et 2021, font tous obstacle à une reconstruction.

(Article paru en anglais le 15 février 2021)

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