Inde : Le gouvernement stalinien de l'État du Kerala calomnie les travailleurs de la santé publique de l'ASHA en grève

Des grévistes de l'ASHA du Kerala manifestent à l'occasion de la Journée internationale des femmes. [Photo: Bombay Rosie/Instagram]

Quelque 26 000 travailleurs de la santé publique rurale du Kerala sont en grève depuis le 9 février pour exiger que le gouvernement de l'État, dirigé par le Parti communiste indien (marxiste) stalinien ou CPM, leur paie un salaire décent et, à la retraite, une pension de base.

Connus familièrement sous l’acronyme d'agents ASHA (activistes sociaux accrédités en santé), les agents de santé publique ruraux fournissent des services de santé publique de première ligne dans les zones rurales où il y a peu, voire pas de médecins, et aucun hôpital ni autre établissement de soins de santé.

À l'échelle nationale, on compte plus d'un million d'agents ASHA ruraux, dont une écrasante majorité sont des femmes. Tous sont extrêmement mal payés, bien qu'ils accomplissent des tâches essentielles, notamment la vaccination, les conseils en nutrition et en planification familiale, et le suivi des grossesses. En raison de l'absence de structures et de personnel de santé, ils sont souvent contraints de poser des diagnostics médicaux préliminaires.

Bien que les travailleurs de l'ASHA soient traités de manière épouvantable par les autorités indiennes, ils ont parfois été salués par les médias et les responsables gouvernementaux comme des « guerriers de première ligne », en raison de leur rôle dans la lutte contre les crises sanitaires majeures – surtout la pandémie de COVID-19 – mais aussi contre les épidémies du virus Nipah et de la dengue, et contre des catastrophes comme le glissement de terrain de l'année dernière dans le district de Wayanad au Kerala.

La grève des travailleurs de l'ASHA du Kerala a reçu un large soutien, les travailleurs, ainsi que des artistes et des intellectuels de premier plan, exprimant leur soutien.

Le gouvernement de l’État dirigé par le CPM a quant à lui réagi par des diffamations et menace désormais d’embaucher 1500 « apprentis » agents de santé pour tenter de briser la grève.

Actuellement, les travailleurs de l'ASHA du Kerala perçoivent un salaire mensuel de seulement 7000 roupies (82,5 euros), ainsi que 3000 roupies supplémentaires d’allocations. Au total, cela représente une rémunération d'environ 420 roupies, soit 4,5 euros, par jour de travail.

Les principales revendications des grévistes portent sur un salaire mensuel de 21 000 roupies, un emploi permanent et une pension de retraite de 500 000 roupies. Leurs salaires ont stagné ces dernières années, malgré la flambée des prix des denrées alimentaires, de l'énergie et d'autres produits de première nécessité.

La grève est menée par l'Association des travailleurs de la santé du Kerala (KHWA), qui se revendique comme un syndicat « indépendant ». Ce syndicat a reçu le soutien et, sans aucun doute, les conseils du Parti du Congrès, l'opposition officielle à l'Assemblée législative de l'État, et du Parti communiste indien (CPI), lui-même partenaire minoritaire du gouvernement du Front démocratique de gauche (FDG) du Kerala, dirigé par le CPM.

En se présentant comme des partisans de la grève, le Congrès et le CPI tentent de se faire du capital politique aux dépens du CPM, tout en s'efforçant de garantir que la lutte des travailleurs de l'ASHA soit maintenue sous le contrôle du KHWA et dans les limites de la politique de l'establishment et des appels pathétiques au CPM pour qu'il soit plus raisonnable.

Des 28 États indiens, le Kerala est actuellement le seul à avoir un gouvernement prétendument de « gauche », dirigé par le CPM. Si le CPM prétend privilégier le peuple au profit, lui et le CPI font partie intégrante de l'establishment politique indien depuis des décennies. Dans les États où il a été au pouvoir – le Kerala, le Bengale-Occidental et le Tripura –, il a mis en œuvre ce qu'il qualifie lui-même d’une politique « pro-investisseurs ». Au niveau national, au cours des trois dernières décennies, il a soutenu, au nom de l'opposition au BJP hindou d'extrême droite, une succession de gouvernements de droite qui ont imposé le programme néolibéral de la bourgeoisie et forgé un partenariat stratégique avec l'impérialisme américain.

Les dirigeants du Centre des syndicats indiens (CITU), affilié au CPM, et le CPM, ont vivement dénoncé les grévistes de l'ASHA. Ils les ont accusés d'être des anarchistes et de chercher à propager le « virus de la grève » parmi les travailleurs.

Cherchant à isoler et à intimider les grévistes, la ministre de la Santé du Kerala et dirigeante du CPM, Veena George, a affirmé que les travailleurs de l'ASHA du Kerala sont les mieux payés du pays, ce qui implique qu'ils devraient se contenter d'une allocation mensuelle qui les maintiendrait dans la pauvreté.

Les staliniens du CPM utilisent également les fausses déclarations de soutien à la grève des partis d'opposition, dont le BJP, parti suprémaciste hindou, pour discréditer la lutte des travailleurs de l'ASHA. Ils qualifient la grève de complot de l'opposition visant à déstabiliser le seul gouvernement de « gauche » de l'Inde.

Ce sont des mensonges éhontés.

Le Parti communiste stalinien (CPM) attaque les travailleurs de l'ASHA, craignant que leur combat militant ne serve de catalyseur à un mouvement ouvrier plus large. Un tel mouvement saperait les efforts du ministre en chef du Kerala et membre du bureau politique du CPM, Pinarayi Vijayan, qui visent à séduire les investisseurs internationaux en présentant le Kerala comme un paradis pour la production à bas coût.

Fin février, Vijayan a organisé un sommet mondial de deux jours, intitulé « Invest in Kerala Global Summit (Sommet mondial pour investir à Kerala) », qui a attiré plus de 3 000 délégués et aurait recueilli des promesses d'investissement de plus de 1 500 milliards de roupies (15,75 milliards de dollars) de la part de 374 entreprises, tant étrangères que nationales. Avant et pendant ce sommet, le gouvernement du Front démocratique de gauche a promis de « faciliter les affaires », un euphémisme pour fouler aux pieds les réglementations environnementales et autres. Vijayan cherche également à liquider des actifs publics en adoptant un modèle de partenariat public-privé (PPP) pour les entreprises publiques, notamment la Kerala State Road Transport Corporation (KSRTC), qui propose des services de bus interurbains à prix relativement bas aux villageois et aux citadins à faibles revenus.

Pour remporter leur lutte, les travailleurs de l'ASHA doivent en prendre la direction en la retirant des mains des responsables syndicaux de la KHWA, proches de l'establishment. Ils doivent aussi, de toute urgence, l'élargir et faire de cette lutte le fer de lance d'une mobilisation de la classe ouvrière contre la destruction et la privatisation des services publics, la prolifération du travail d’intérimaires et la réduction drastique de l’aide sociale.

La direction de la KHWA s'oppose catégoriquement à la mobilisation d'un soutien fort à la grève parmi les travailleurs et les pauvres des zones rurales, ainsi que parmi certaines sections de la classe moyenne, comme l'indiquent les messages de soutien de la romancière primée Arundhati Roy, de l'actrice Kani Kashruti et de l'écrivain en langue malayalam P. Geetha.

La KHWA n'a pas tenté d'étendre la grève aux travailleurs de l'ASHA dans d'autres États, ni de la lier à une contestation plus large de la classe ouvrière face à l'état déplorable du système de santé publique. Pendant des décennies, sous les gouvernements nationaux dirigés par le Parti du Congrès et le BJP, l'État indien, à tous les niveaux, n'a pas consacré plus de 2 pour cent de son PIB aux soins de santé – soit généralement moins que ce qu'il consacre à son immense armée dotée d’arme nucléaire.

Le 8 mars, Journée internationale des femmes, le syndicat a organisé une manifestation symbolique devant le secrétariat du gouvernement de l'État à Thiruvananthapuram, capitale du Kerala. La KHWA appelle désormais à une manifestation plus importante au même endroit le lundi 17 mars, qui marquera le 36e jour de grève. Cependant, son objectif n'est pas de mobiliser un soutien plus large de la classe ouvrière, mais plutôt de maintenir le contrôle sur une base de plus en plus agitée.

Les travailleurs en grève de l’ASHA devraient former des comités de base indépendants de l’appareil syndical de la KHWA, de ses alliés du Parti du Congrès et du PCI stalinien, ainsi que de tous les représentants des partis capitalistes rivaux et de leurs laquais syndicaux.

Les travailleurs ne peuvent affirmer leurs intérêts de classe et mobiliser leur puissance sociale que dans la mesure où ils se libèrent de l’ensemble de l’establishment politique capitaliste et répudient consciemment ses divers appels réactionnaires nationalistes, communautaristes et ethno-régionalistes.

Alors même que le CPM et le Parti du Congrès s'accusent mutuellement au Kerala, ils œuvrent ensemble sur la scène nationale pour enchainer la colère sociale croissante contre le gouvernement BJP de Narendra Modi à l'alliance d'opposition INDIA. Dirigée par le Parti du Congrès et incluant une aile du Shiv Sena fasciste, l'alliance INDIA vise à remplacer le gouvernement actuel par un gouvernement tout aussi attaché aux politiques des grandes entreprises et au « Partenariat stratégique mondial » anti-Chine indo-américain.

Une mission essentielle d'un comité de base des travailleurs de l'ASHA serait d'élargir la lutte, de mobiliser le soutien de la classe ouvrière et de développer une contre-offensive impliquant tous les travailleurs, des secteurs public et privé, du Kerala et de toute l'Inde. Cela devrait inclure des appels directs aux travailleurs de l'ASHA dans toute l'Inde pour une lutte commune en faveur d'emplois permanents et de conditions de travail communes – notamment un salaire minimum mensuel de 21 000 roupies – pour tous, ainsi qu'une injection massive de fonds publics dans le développement du système de santé public, par la saisie des richesses mal acquises des Ambani, des Adani et autres milliardaires. Il faudrait également nouer des alliances de lutte avec les travailleurs de la santé et autres travailleurs du monde entier par l'intermédiaire de l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC).

(Article paru en anglais le 15 mars 2025)