Avec l’établissement officiel d’une brigade de combat permanente en Lituanie, le gouvernement allemand dirigé par le chancelier Friedrich Merz et le ministre de la Défense Boris Pistorius ouvre un nouveau chapitre dans la résurgence du militarisme allemand. Lors d’une cérémonie militariste avec des chars Leopard, des obusiers, des avions de chasse et un défilé de soldats, Merz et Pistorius ont célébré le premier déploiement permanent de troupes de combat allemandes à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale, au nom de la « paix, de la liberté et de la sécurité ». En réalité, il s’agit d’une partie intégrante des préparatifs de guerre contre la Russie.
La symbolique du lieu n'aurait pas pu être plus claire : la Lituanie, un ancien territoire soviétique, à quelques centaines de kilomètres de la frontière russe. Quatre-vingts ans après la guerre d'anéantissement d'Hitler contre l'Union soviétique, les chars allemands pilotés par des soldats allemands roulent à nouveau vers l'est. La rupture historique et politique que les élites allemandes ont été contraintes de réaliser après la chute du Troisième Reich est en train d'être systématiquement inversée. L’impérialisme allemand est de retour, revenant sur les lieux de ses pires crimes.
La Lituanie en particulier fut un théâtre central des atrocités nazies. Après l’invasion de la Wehrmacht en juin 1941, des collaborateurs locaux participèrent activement à l’extermination de la population juive. En quelques mois, environ 95 % des Juifs lituaniens furent assassinés. Sur les quelque 210 000 Juifs vivant en Lituanie avant l’invasion nazie du 22 juin 1941, environ 195 000 avaient été tués à la fin de la guerre en 1945. La majorité d’entre eux avaient déjà été assassinés à la fin de 1941.
Les Einsatzgruppen SS, soutenus par des milices lituaniennes, ont non seulement massacré des dizaines de milliers de personnes lors de tueries telles que celle de Ponary, mais ont aussi brutalement attaqué les communistes, les syndicalistes et d’autres membres de l’opposition. Aujourd’hui, des troupes de combat allemandes sont à nouveau stationnées de façon permanente sur le sol lituanien. L’histoire est soit ignorée, soit activement réécrite pour justifier de nouvelles guerres.
Dans son discours à Vilnius, Merz a parlé d’une « nouvelle ère » dans laquelle l’Allemagne doit assumer une « responsabilité permanente ». Il a à plusieurs reprises qualifié la Russie « d’agresseur » contre lequel il faudrait « se défendre » ensemble. Cela renverse la réalité. Même si l’invasion russe de l’Ukraine était réactionnaire, les puissances impérialistes sont les véritables agresseurs. Elles ont délibérément provoqué la guerre en Ukraine. Depuis la dissolution de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne, l’OTAN encercle militairement la Russie. Aujourd’hui, les principaux États de l’Union européenne – avant tout Berlin – poussent l’escalade toujours plus loin.
La brigade de la Bundeswehr n’est pas seulement symbolique, mais une unité de combat entièrement équipée, avec armes lourdes, base propre et personnel stationné en permanence. À l’automne 2023, Pistorius avait évoqué la nécessité pour l’Allemagne de devenir « prête à la guerre ». Avec l’adoption récente de crédits de guerre massifs d’environ mille milliards d’euros et la hausse prévue du budget militaire à 5 % du PIB, le réarmement et la militarisation de la société sont devenus les principales préoccupations de l’État.
Cette politique exprime un profond changement. La classe dirigeante allemande utilise la guerre en Ukraine pour imposer une réorganisation militaire d’envergure et s’établir comme la première puissance militaire européenne. Dans sa première déclaration de politique générale en tant que chancelier, Merz a annoncé que « la Bundeswehr deviendra la plus puissante armée conventionnelle d’Europe ». Même sans tenir compte de l’armée turque, qui compte 355 000 soldats actifs et 379 000 réservistes, porter la Bundeswehr au niveau souhaité nécessiterait de faire passer les effectifs de 181 000 à au moins 300 000 soldats. Selon les plans actuels, l’armée polonaise devrait atteindre cette taille dans dix ans. Une telle expansion ne peut se faire sans le rétablissement du service militaire obligatoire.
Avant son voyage à Vilnius, Pistorius a également soutenu la demande, auparavant formulée par le ministre des Affaires étrangères Johann Wadephul (démocrate-chrétien) et initialement par Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’extrême droite, d’augmenter les dépenses militaires à 5 % du PIB à l’avenir. Cela correspondrait à 225 milliards d’euros par an ! Le budget officiel de la défense est actuellement d’un peu moins de 53 milliards d’euros. Pistorius n’a laissé aucun doute : ce sont les travailleurs qui paieront la facture du réarmement. « Ce pays ne peut pas être défendu avec l’aide sociale et l’éducation », a-t-il cyniquement déclaré à la radio Deutschlandfunk.
La folle course à la guerre est soutenue par tous les partis du Bundestag. Les Verts, autrefois pacifistes autoproclamés, sont désormais les plus agressifs bellicistes et célèbrent ouvertement la mobilisation de la Bundeswehr à l’Est. Le Parti de gauche a critiqué le déploiement de troupes de combat allemandes pour mieux dissimuler et sécuriser le programme du gouvernement et maitriser l’opposition de masse à celui-ci. Mais il a aussi voté au Bundesrat en faveur des crédits de guerre d’un montant de mille milliards d’euros et a ensuite permis l’élection rapide de Merz au poste de chancelier au Bundestag.
Sous la direction du nouveau gouvernement allemand, la guerre en Ukraine provoquée par les puissances de l’OTAN évolue de plus en plus vers une guerre européenne. Face à un possible retrait des États-Unis sous Donald Trump, les principales puissances européennes – surtout l’Allemagne – sont déterminées à poursuivre l’offensive contre la Russie, même sans le soutien de Washington si nécessaire. Elles accélèrent massivement leur réarmement et leurs plans de guerre afin de devenir plus indépendantes militairement et d’imposer par la force leurs propres intérêts impérialistes.
Ce qui se déroule ici, c’est l’avancée vers une troisième guerre mondiale. Comme l’a déclaré le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP) lors de son dernier congrès, la classe dirigeante allemande « poursuit sans interruption sa vieille politique de guerre mondiale. Déjà lors de la Première Guerre mondiale, l’un des objectifs était la création d’un État vassal ukrainien dominé par Berlin. Hitler a poursuivi cette politique lors de la Seconde Guerre mondiale : la subjugation de l’Ukraine était un élément central de la guerre d’anéantissement contre l’Union soviétique. Aujourd’hui, les chars allemands roulent à nouveau vers la Russie, et la Bundeswehr travaille étroitement avec les héritiers des collaborateurs nazis ukrainiens pour imposer les intérêts prédateurs de l’impérialisme allemand. »
Les parallèles historiques sont évidents. Malgré toutes les différences idéologiques, la Wehrmacht a marché vers l’Est en 1941 sous des auspices similaires à ceux de la Bundeswehr d’aujourd’hui : au nom de la défense de « l’ordre européen » contre « l’ennemi bolchevique ». Aujourd’hui, l’ennemi s’appelle « impérialisme russe », mais les objectifs – domination géostratégique et accès aux ressources, zones d’influence et marchés – restent les mêmes.
Tandis que l’élite dirigeante utilise la rhétorique guerrière et le nationalisme pour préparer la population à un conflit militaire direct, dévastateur et potentiellement catastrophique avec la Russie, une puissance nucléaire, la classe ouvrière est déjà sommée de payer. Les milliards dépensés pour les chars, drones et avions de chasse sont financés par des coupes dans les dépenses sociales, des licenciements collectifs et la hausse du coût de la vie. Les écoles tombent en ruine, les hôpitaux sont débordés, mais il y a toujours de l’argent pour de nouveaux projets de réarmement. À cela s’ajoute la conscription de fait des jeunes, surtout issus de la classe ouvrière, pour servir de chair à canon au front.
Ce développement ne peut être arrêté que par un mouvement conscient de la classe ouvrière internationale. Le SGP est le seul parti en Allemagne à avoir constamment combattu le réarmement, la guerre de l’OTAN et le retour du militarisme. Lors de la campagne électorale du Bundestag, le SGP a mis en garde contre le danger d’une troisième guerre mondiale et a fait de la construction d’un nouveau mouvement international contre la guerre sa priorité. Il s’agit désormais de la question centrale. Le retour des troupes de combat allemandes en Europe de l’Est est une déclaration de guerre à l’humanité. Les travailleurs et les jeunes doivent s’y opposer résolument sur la base d’une perspective socialiste claire.
(Article paru en anglais le 24 mai 2025)