La semaine dernière, un puissant mouvement de grève nationale de trois jours contre l'austérité a paralysé les services publics, la logistique et l'activité industrielle dans toute la Belgique. Cette grève, qui eut lieu parallèlement à une grève nationale en Italie et à la préparation d'une grève nationale au Portugal, a révélé l'immense force de la classe ouvrière et la détermination des travailleurs à lutter contre la politique d'austérité et le militarisme de l'OTAN en Europe. Elle a également soulevé des questions stratégiques et politiques cruciales pour les travailleurs, non seulement en Belgique mais à l’international.
Le gouvernement de coalition droitier belge a adopté de manière provocatrice son budget d'austérité le premier jour de la grève, le 24 novembre. Parallèlement, il a continué d'injecter des milliards d'euros dans des programmes militaires très impopulaires, comme l'achat d'avions de chasse F-35 et le financement de la guerre menée par l'OTAN contre la Russie en Ukraine. Le gouvernement, dont la popularité a chuté à 34 pour cent dans les sondages, a ainsi manifesté sa détermination à poursuivre la politique d'austérité malgré l'opposition massive et la grève.
Le gouvernement entend exploiter les principales faiblesses de la grève: l’absence de liens internationaux avec les travailleurs mobilisés en lutte contre l’austérité et la guerre à travers l’Europe et l’absence d’une perspective pour une mobilisation indépendante de la base afin de renverser le gouvernement. Malgré la colère sociale explosive, la grève est restée sous le contrôle organisationnel des bureaucraties syndicales nationales, qui visent à laisser au pouvoir le gouvernement d’ultra droite du nationaliste flamand Bart de Wever et du leader du Mouvement réformateur francophone (MR), Georges-Louis Bouchez.
La Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) a publié un communiqué saluant la grève mais s’abstenant de toute nouvelle action de grève contre le gouvernement. Elle déclare: «Après trois jours de grève consécutifs contre la politique du gouvernement, les syndicats ont atteint leur objectif et sont pleinement satisfaits de l’ampleur de la mobilisation.» Elle a modérément critiqué le gouvernement, affirmant que «son silence [était] profondément regrettable» et que les syndicats pourraient à l’avenir envisager de céder à la pression populaire pour de nouvelles actions:
Les syndicats ont bien entendu le message envoyé aujourd'hui par le monde du travail. Il est clair que le succès des trois journées de grève les oblige à réfléchir, dans les prochains jours, à la manière de donner suite au mouvement social.
Raoul Hedebouw, le dirigeant du Parti du travail belgique (PTB), parti petit-bourgeois d'obédience stalinienne-maoïste, a publié une courte vidéo dans laquelle il appelait inutilement le gouvernement à écouter le peuple et à faire marche arrière: «De Wever, Bouchez et Prévot, écoutez le message de celles et ceux qui font tourner chaque jour le pays: pas touche à nos pensions, pas touche à l'indexation de nos salaires ou nos primes de nuit.»
La Gauche anticapitaliste pabliste a lancé un appel à un «front uni» avec le PTB et les bureaucraties syndicales. Elle a exhorté à «déplacer le centre de gravité politique, non pas vers les institutions, mais vers le mouvement social dans toutes ses composantes: syndicats, collectifs, associations, mobilisations féministes, écologistes, antiracistes, mouvements de solidarité internationale». Il s'agissait là d'un appel à l'unification non pas de la classe ouvrière, mais des diverses bureaucraties financées par l'État qui dominent ce que les médias capitalistes promeuvent comme la «gauche» en Belgique.
En réalité, le message véhiculé par le «monde du travail» est clair: ce gouvernement est inacceptable pour la classe ouvrière. La décision des bureaucraties syndicales, soutenues par le PTB, de repousser un appel à la grève et d’implorer De Wever à changer de cap – même après le dépôt de son budget – n’est pas d’«entendre» le message des travailleurs, mais de bloquer la lutte que la classe ouvrière montre qu’elle prête à mener.
Bart De Wever est la dernière génération d'une famille étroitement liée à la collaboration avec l'occupation nazie en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale. Son grand-père, Léon de Wever, était membre du VNV (Vlaams Nationaal Verbond), organisation collaborationniste, et son père Rik entretenait des liens étroits avec les milieux d'extrême droite de la Belgique d'après-guerre. Son accession au poste de Premier ministre témoigne de la détermination de la bourgeoisie belge, tant flamande que francophone, à anéantir les derniers acquis sociaux obtenus par les travailleurs européens dans la résistance contre le nazisme.
Le budget présenté par de Wever le 24 novembre met fin à l'indexation des salaires sur l'inflation (dans un premier temps uniquement pour les salaires supérieurs à 4 000 € par mois) et relève l'âge de la retraite de 64 à 67 ans. Il double les taxes sur le gaz naturel, ainsi que sur les restaurants, les hôtels et les activités sportives. Il instaure une taxe de 2 € sur les importations de petits colis, généralement des produits achetés par les travailleurs sur des sites de vente en ligne chinois. Enfin, il contraint 100 000 des 526 000 travailleurs en invalidité en Belgique à reprendre le travail.
La grève nationale de trois jours de la semaine dernière a montré la détermination des travailleurs à lutter contre cette politique socialement régressive, destinée à financer la guerre contre la Russie et à permettre des réductions d'impôts qui profitent aux riches au détriment de la classe ouvrière. De plus en plus de travailleurs comprennent intuitivement qu'il est inutile de négocier avec de tels gouvernements et que seule la lutte des classes permettra de les contrer.
Le 24 novembre, il y eut une première grève nationale des transports touchant principalement le secteur ferroviaire. La plupart des trains de la SNCB ont été paralysés, ainsi que les services régionaux à Liège, Namur et dans d'autres villes de Wallonie, et la moitié des services régionaux de De Lijn en Flandre, où les grèves ont été les plus suivies à Anvers et à Gand. Seules quelques lignes de métro et de bus ont fonctionné dans la région bruxelloise.
Le 25 novembre, les grèves se sont étendues aux services postaux, aux écoles et aux garderies, à la collecte des ordures et aux hôpitaux publics, ce qui a retardé les consultations prévues ce jour-là.
Le 26 novembre, le mouvement de grève s'est encore étendu les travailleurs répondant avec force à l'appel des syndicats à une grève générale nationale d'une journée. Les aéroports de Bruxelles et de Liège étaient à l’arrêt, les commerces et bâtiments administratifs ont été fermés, et des piquets de grève installés devant les usines et les complexes industriels dasn tout le pays. L'usine Volvo de Gand, qui emploie directement 6 500 personnes, a été paralysée par la grève.
Des manifestations ont éclaté à Liège le lendemain, lorsque Bouchez a tenté de s'y rendre pour une réunion politique. Une foule de 600 personnes, mobilisée sur les réseaux sociaux par des groupes antifascistes, s'est rassemblée autour du bâtiment où Bouchez devait prendre la parole et s'est heurtée aux forces de l'ordre, déployées en urgence. Bien au-delà des forces mobilisées par les groupes «antifascistes» actuels, la classe ouvrière cherche à lutter contre le gouvernement belge et les gouvernements similaires à travers l'Europe.
Le seul moyen pour la classe ouvrière de stopper la spirale infernale de la guerre et du recul social est de renverser dans toute l'Europe les gouvernements comme celui de de Wever en Belgique ou Meloni en Italie. Il faut tirer des conclusions politiques essentielles. Une telle lutte exige une mobilisation de la base, indépendamment des bureaucraties et rejetant leur politique d'appels politiques à des figures comme de Wever; cettte mobilisation doit se faire sur la base d’une perspective d'instauration du pouvoir ouvrier et de mise en œuvre d’une politiques socialiste.
Comme première étape d'une telle lutte il faut construire un mouvement pour préparer une grève générale, en Belgique et dans toute l'Europe. Le plus grand représentant de cette stratégie fut Léon Trotsky. Il distinguait la grève nationale d'une journée, contrôlée par la bureaucratie, de la véritable grève générale comme celle de 1961 en Belgique et de 1936 ou 1968 en France. Écrivant sur la grève générale d'une journée lancée par la CGT en réaction au putsch manqué du 6 février 1934 à Paris, il expliquait:
La grève générale est, par son essence même, une opération politique. Elle oppose la classe ouvrière dans son ensemble à l’État bourgeois. Elle rassemble les ouvriers syndiqués et non-syndiqués, socialistes, communistes et sans-parti. Elle a besoin d'un appareil de presse et d'agitateurs …
La grève générale pose carrément la question de la conquête du pouvoir par le prolétariat. La C.G.T. tourna et tourne le dos à cette tâche – les chefs de la CGT ont le regard tourné vers le pouvoir bourgeois…
Et la grève générale du 12 février 1934 ? Elle ne fut qu'une brève et pacifique démonstration imposée à la C.G.T. par les ouvriers socialistes et communistes. Jouhaux et consorts ont pris sur eux la direction formelle de la riposte précisément afin d’empêcher qu’elle ne se transforme en grève générale révolutionnaire.
Ce passage, écrit il y a plus de 90 ans, décrit non seulement le rôle joué aujourd'hui par les bureaucraties syndicales et leurs satellites politiques, mais il indique la voie à suivre. Il faut construire des organisations de lutte de la base dans la classe ouvrière, indépendantes des bureaucraties syndicales; et une direction révolutionnaire sur la base de la défense du trotskysme menée par le Comité international de la Quatrième Internationale contre le pablisme.
C'est là le fondement d'une lutte visant à surmonter l'obstacle posé par le stalinisme et le pablisme, pour renverser le gouvernement De Wever et pour remplacer l’Union européenne par les États socialistes unis d’Europe.
(Article paru en anglais le 1er décembre 2025)
