Le Parti communiste révolutionnaire abandonne son virage opportuniste vers le « Your Party » de Corbyn et Sultana

Après avoir soutenu Jeremy Corbyn et Zarah Sultana pendant des mois, le Parti communiste révolutionnaire (PCR) admet aujourd'hui que l'initiative Your Party est un échec.

Le 24 novembre, le PCR a publié un commentaire explicatif intitulé « Quelle est la position du PCR sur Your Party ? » Rédigé par le secrétaire général Ben Gliniecki, ce commentaire admet : « Ce week-end, la conférence fondatrice de Your Party aura lieu. Malheureusement, le potentiel de forger un mouvement radical et populaire de masse a été réduit à néant par les dirigeants réformistes et leurs querelles mesquines », avant d'ajouter l’avertissement « du moins pour l'instant ».

S'ensuit une présentation affligée de « ce qui aurait pu être » si Corbyn et Sultana, après avoir annoncé la création de Your Party en juillet, avaient réussi à canaliser la « vague d'enthousiasme » que cela avait suscité en donnant « une expression politique au mouvement pro-palestinien et à toutes les grèves qui éclataient à travers le pays », en attaquant « les riches et le système capitaliste comme étant la cause de la crise en Grande-Bretagne » et autres propos similaires.

En d'autres termes, si Corbyn et Sultana avaient écouté les conseils amicaux que leur avait prodigués le PCR, à commencer par la « Lettre ouverte à Jeremy Corbyn et Zarah Sultana » publiée le 4 juillet par Fiona Lali, membre éminente du parti, nous serions aujourd'hui comblés. « Malheureusement, se lamente Gliniecki, nous ne pourrions être plus loin de cela aujourd'hui. »

Capture d'écran de « Lettre ouverte à Jeremy Corbyn et Zarah Sultana : “Le moment est venu d'être audacieux” »

Au lieu de cela, la conférence fondatrice de Your Party « risque d'être un chaos de querelles mesquines », sans programme viable à discuter et avec «l'approche du nouveau chef du Parti vert, Zack Polanski, bien que réformiste dans son contenu [...] plus combatif et anti-establishment que tout ce que ce nouveau parti présente officiellement », avec pour résultat que « les Verts occupent l'espace à gauche du Parti travailliste ».

Corbyn et Sultana « doivent tous deux assumer la responsabilité », principalement parce que le « réformisme de gauche » n'apporte « aucune réponse à la crise du capitalisme », conclut solennellement le PCR.

Pour donner du crédit à cette sagesse tardive, il faut permettre au PCR de camoufler son soutien enthousiaste antérieur à Your Party, à commencer par la lettre de Lali adressée à « Chers Jeremy et Zarah ». Cela a été documenté dans l'article du World Socialist Web Site du 22 août, « Le Parti communiste révolutionnaire et le nouveau parti de Corbyn et Sultana : opportunisme sans fard et amnésie politique ».

Il expliquait que, alors que le PCR

proclame un programme partagé avec tous les groupes de pseudo-gauche britanniques, d’adhérer et de conférer soi-disant un caractère révolutionnaire au nouveau parti annoncé par l'ex-leader travailliste Jeremy Corbyn et la députée Zara Sultana [...] il a pour tâche supplémentaire de revenir sur son affirmation, vieille d'à peine un an et demi, que le réformisme corbyniste était lettre morte dans la classe ouvrière et chez les jeunes. C'est sur cette base que la Tendance marxiste internationale (TMI) s'est relancée sous le nom d'Internationale communiste révolutionnaire.

Lali, coordinatrice nationale des campagnes du PCR, a mis en garde contre «les erreurs qui ont fait reculer le mouvement Corbyn » lorsqu'il dirigeait le Parti travailliste, notamment en accommodant « notre mouvement aux représentants du système capitaliste – les blairistes et l'establishment ». Mais elle a ensuite proposé à Corbyn et Sultana que « notre parti » soit fondé sur un « programme anticapitaliste » et « révolutionnaire ».

Le 24 juillet, sans aucune indication que Jeremy et Zarah l'écoutaient, le PCR a annoncé qu'il « se joignait » et mobilisait ses membres « pour contribuer au succès de ce nouveau parti – dont le besoin se fait cruellement sentir ». Naturellement, le PCR allait construire « une force communiste révolutionnaire » au sein de Your Party, mais seulement en « espérant remplir les détails du plan général déjà esquissé par Jeremy et Zarah ».

L'histoire d’opportunisme du PCR

Il s'agissait, pour le PCR, d'un retour à ses habitudes politiques écrivions-nous :

Le groupe, aujourd'hui dirigé par Alan Woods, fut fondé par Ted Grant. Il rompit avec la Quatrième Internationale après la Seconde Guerre mondiale et, pendant des décennies, fonda toute sa perspective sur l'argument que la nouvelle stabilisation du capitalisme d'après-guerre, rendue possible uniquement par la répression des luttes révolutionnaires par le stalinisme, avait réfuté le pronostic révolutionnaire de Trotsky. Au lieu de quoi, pendant une longue période historique, l'action révolutionnaire indépendante du prolétariat était impossible dû à l'achèvement de la «contre-révolution démocratique» qui nécessitait une entrée prolongée dans le Parti travailliste britannique, tout en défendant un programme essentiellement réformiste de gauche d’instauration du socialisme à travers la nationalisation par le Parti travailliste des 200 principaux monopoles.

Toute l'activité de ce qui allait devenir la Militant Tendency (MT) et qui fut poursuivie par son rejeton dirigé par Woods, reposait sur l'affirmation qu’une intégration au Parti travailliste – justifiée avant tout par son ancrage syndical – pourrait pousser celui-ci à adopter un programme socialiste.

En 2015, le groupe de Woods, alors connu sous le nom de Socialist Appeal, a exhorté les travailleurs, les jeunes et les syndicats à aider la « révolution Corbyn » à transformer le Parti travailliste, insistant sur le fait qu'il ne céderait pas devant l'opposition de la classe dirigeante comme l'avaient fait Syriza et son chef Alexis Tsipras en Grèce, car « le Parti travailliste a un poids historique bien plus important et des racines bien plus profondes au sein de la classe ouvrière que Syriza n'en a jamais eu. Il ne s'agit pas d'une tendance éphémère, mais du parti traditionnel de masse de la classe ouvrière britannique, qui entretient des liens étroits avec les syndicats ».

Ce n'est qu'après que des millions de personnes, en particulier parmi les jeunes, aient commencé à se détourner des forces discréditées telles que Tsipras et Corbyn et à quitter le Parti travailliste en masse que, mi-2022, le groupe Woods a annoncé la création d'un nouveau parti indépendant, proclamé Parti communiste révolutionnaire, faisant partie d'une nouvelle Internationale communiste révolutionnaire.

Woods déclara que le réformisme était lettre morte et que les jeunes se transformaient en communistes « par milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers, voire millions ». Mais cet élan de ferveur rhétorique fut abandonné sans ménagement dès que Corbyn et ses alliés se mirent à construire Your Party comme un piège pour les travailleurs et les jeunes, exploitant les illusions réformistes mêmes que le PCR prétendait appartenir au passé.

Woods insistait désormais sur le fait que « compte tenu de la faiblesse des forces du marxisme authentique à l'heure actuelle », le vide politique créé par le virage à droite du Parti travailliste « ne pouvait être comblé que par une sorte d'alternative réformiste de gauche ». Quoi qu'il en soit, il était «trop tôt pour dire quelle serait la physionomie réelle du nouveau parti », car « la question cruciale est de savoir si la direction de ce parti défend réellement une transformation fondamentale de la société ».

Même après toutes les expériences vécues par les travailleurs, y compris les cinq années de Corbyn à la tête du Parti travailliste, Woods ajouta : « Nous ne pouvons pas répondre à cette question à l'avance. » Tout en défendant «le programme de la révolution socialiste », le PCR se tiendrait aux côtés de Corbyn dans la lutte pour des réformes sans lesquelles « la révolution socialiste serait une utopie impossible ».

Alan Woods prononçant un discours lors du congrès fondateur du PCR, en 2024 [Photo by Socialist Appeal / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0]

En opposition, le PES a expliqué :

La tâche des marxistes n'est pas de partir des illusions des travailleurs, mais de combattre systématiquement les illusions réformistes et d'élever la conscience de la classe ouvrière à une compréhension des tâches révolutionnaires que pose la situation objective.

Cela implique un effort constant pour éduquer les travailleurs afin qu'ils puissent tirer les conclusions nécessaires de ce que le PCR reconnaît à propos de Corbyn, Bernie Sanders et Syriza, à savoir qu'« aucun d'entre eux n'a mis en œuvre une seule réforme d’importance » parce qu'ils n'ont jamais mené de lutte politique contre la droite.

Citant le révolutionnaire russe et fondateur de la Quatrième Internationale, Léon Trotsky, nous avons conclu :

[O]n ne peut pas construire de «pont» entre les luttes réformistes de la classe ouvrière et les luttes révolutionnaires sans entreprendre un travail politique visant à «dissiper les “illusions réformistes” des masses [...] à faire comprendre aux travailleurs qu’ils font erreur, que leurs dirigeants trahiront», énoncées en termes désobligeants par le PCR. C’est, affirment-ils, «bien beau dans l’abstrait [...] mais ce serait tout de même totalement contre-productif et faux, précisément parce que c’est si abstrait».

Pour le PCR, un programme concret se résume à des appels à « Jérémy et Zarah ». Mais l'unité avec les masses ne signifie pas la moindre unité avec les dirigeants, qui doivent être démasqués devant les travailleurs comme partie de leur éducation politique et de leur préparation. [...]

La classe ouvrière, en Grande-Bretagne et à l'international, est confrontée à un monde où l'oligarchie des super-riches monopolise une part toujours plus grande des richesses mondiales, et où les puissances impérialistes renforcent leurs armées pour des guerres de territoire et de ressources. L'effondrement du niveau de vie des travailleurs est le prix à payer, et des mesures d'État policier sont déployées et des partis d'extrême droite sont créés pour réprimer la résistance. [...]

La classe dirigeante répondra à toute opposition à la destruction du niveau de vie et à la guerre impérialiste par une féroce répression. Cela fut démontré par l’arrestation par le gouvernement Starmer de centaines de manifestants anti-génocide et par l’interdiction de Palestine Action en vertu des lois anti-terroristes. La victoire nécessitera une mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière: nationalisation des industries essentielles, confiscation des richesses des milliardaires et mise en œuvre d'une stratégie socialiste internationale pour assurer la victoire.

Le protocole Mamdani

Tandis que le PES luttait pour alerter la classe ouvrière sur ces réalités politiques, le PCR revenait frénétiquement sur son enthousiasme initial pour Your Party, tout en demandant que ses jeunes membres s'affairent à la recherche d'une tendance « réformiste de gauche » à laquelle ils devaient, en l'absence d'au moins 50 000 membres, suggérer modestement l'adoption d'un programme révolutionnaire.

Pas plus tard que le 5 novembre, le PCR écrivait : « Qu'il s'agisse de Polanski et Sultana en Grande-Bretagne ou de Mamdani aux États-Unis, ceux qui sont à la tête de ce renouveau de la gauche sont tous des expressions partielles de la radicalisation au sein de la société », tous des gens « bien intentionnés et sincères » que « les communistes soutiendront [...] dans chaque avancée positive qu'ils feront, dans chaque lutte contre les milliardaires, les propriétaires fonciers et le reste de l'establishment capitaliste ».

Le lendemain, après l’élection de Zohran Mamdani au poste de maire de New York, le PCR écrivait : « La question principale est maintenant de savoir comment Mamdani va mener la lutte contre les milliardaires. » C'était au tour de « Zohran » de se voir dire : « Dans ses efforts pour mener à bien ses réformes et aider le mouvement socialiste à faire un véritable pas en avant, les seuls alliés fiables de Zohran sont les travailleurs et les jeunes qui l'ont propulsé à la mairie. »

L'appelant à rompre avec les démocrates et à construire un nouveau parti ouvrier, le PCR suggérait que celui-ci « ne serait pas simplement un véhicule électoral, mais organiserait une lutte sérieuse de la classe ouvrière [...] Les camarades des Communistes révolutionnaires d'Amérique seront au cœur de ces combats, luttant aux côtés de notre classe. Nous sommes impatients de discuter de la voie à suivre avec les partisans de Zohran à New York et dans tout le pays, et nous continuerons à offrir nos perspectives sur la manière dont le mouvement autour de Zohran peut réussir. »

Pendant que ces inepties politiques étaient formulées, les « partisans » de Mamdani s'affairaient à demander une rencontre avec le président Donald Trump, qui a eu lieu deux semaines plus tard. Loin de rompre avec les démocrates, Mamdani a craché au visage de tous ceux qui ont fait campagne et voté pour lui sur la base de ses promesses de lutter contre le fasciste à la Maison-Blanche.

Le président Donald Trump rencontre le maire élu de New York, Zohran Mamdani, dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, le vendredi 21 novembre 2025, à Washington. [AP Photo/Evan Vucci]

Après avoir assisté au naufrage du projet pseudo-réformiste du Your Party qu'il soutenait, le PCR indique clairement qu'il a également l'intention de répéter ce revirement désastreux ici au Royaume-Uni dès que l'occasion se présentera.

De nouvelles trahisons se préparent

Gliniecki affirme que « les pitreries de Corbyn et Sultana ont isolé leur parti de la colère populaire qui existe aujourd'hui en Grande-Bretagne [...] Mais cette situation ne durera pas nécessairement éternellement ». Tout comme la montée des Verts, « on ne peut exclure que quelque chose d'un peu plus prometteur puisse sortir de ce gâchis créé par Corbyn et Sultana. Cela pourrait se produire assez rapidement, par accident, et malgré leur leadership épouvantable. Il est impossible de dire à quoi cela ressemblerait, quelles personnalités seraient impliquées et quelle serait la relation avec d'autres formations comme les Verts ».

Alors qu'à l'heure actuelle, « il n'y a pas de mouvement de masse autour de Corbyn et Sultana [...] Ce qui est important, c'est de comprendre que le réformisme de gauche en Grande-Bretagne renaîtra, sous une forme ou une autre [...] Notre tâche consiste désormais à nous préparer à ce mouvement, quelle que soit la forme qu'il prendra, en renforçant les forces du communisme. »

C'est là l'essence même non seulement de la politique du PCR, mais aussi de tous les autres groupes de pseudo-gauche qui s'accrochent encore désespérément au navire en perdition de Corbyn et Sultana. Dans la mesure où ils emploient des phrases révolutionnaires et une terminologie marxiste, cela occulte leur rôle dans le renforcement de l'emprise politique de la bureaucratie syndicale et travailliste sur la classe ouvrière.

Toute lutte visant à élever la conscience des travailleurs et à construire une alternative révolutionnaire est combattue, sous le prétexte qu’il faille « admettre » la conscience actuellement réformiste de la classe ouvrière. L'« intransigeance, la vigilance, la méfiance révolutionnaire et la lutte pour chaque parcelle d'indépendance » et « non pas un optimisme béat », énumérés par Trotsky comme les « traits essentiels du bolchevisme », sont assimilés à du « sectarisme ».

Le PCR et autres groupes de la pseudo-gauche ne sont pas de véritables défenseurs du socialisme. Ils agissent comme la dernière ligne de défense du capitalisme en exigeant un soutien « tactique » et « critique » pour renforcer le « mouvement réel » représenté, année après année, par Tsipras et Syriza, le Parti travailliste sous Corbyn, Your Party de Corbyn et Sultana, Polanski et les Verts, Mamdani, ou toute autre alternative petite-bourgeoise frauduleuse qui surgira après leurs inévitables trahisons.

Par opposition, le PES a affirmé dès le 27 juillet :

Nous ne serons pas les défenseurs et les apologistes de « Your Party ». Ce n'est pas le nôtre. Nous interviendrons énergiquement auprès des nombreux travailleurs et jeunes qui cherchent en Corbyn un leader et nous chercherons à les éduquer sur les expériences historiques fondamentales de la dernière décennie et au-delà, qui soulignent la nécessité d'une perspective et d'un parti révolutionnaires, internationalistes et socialistes.

Notre objectif est de veiller à ce que la classe ouvrière ne gaspille pas son énergie dans une campagne démoralisante pour un parti qui la mènera à la trahison et à la défaite, afin que les illusions dans le réformisme corbyniste soient dissipées le plus rapidement possible en vue des luttes de classe révolutionnaires à venir.

Nous pouvons citer abondamment notre bilan, car nous n'avons rien à cacher, car nous prenons au sérieux notre responsabilité envers la classe ouvrière de lui fournir une perspective révolutionnaire cohérente. Le PCR n'a pas de tels scrupules. Il n'assume aucune responsabilité pour ce qu'il a dit il y a quelques mois, ni pour l'éducation de la classe ouvrière, même celle de ses propres membres, sauf pour justifier chaque nouveau virage pragmatique et opportuniste.

(Article paru en anglais le 26 novembre 2025)

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