Après des mois d’incertitudes quant à sa viabilité financière, le fabricant suédois de batteries pour véhicules électriques (VE) Northvolt s’est placé sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur la faillite. Dans le cadre d’un processus supervisé par un tribunal, Northvolt devra soumettre un plan de restructuration à ses créanciers afin d’éviter la faillite. Au même moment, son co-fondateur et PDG Peter Carlsson a annoncé qu’il démissionnait pour laisser la place à un expert en restructuration.
La déconfiture de Northvolt met en lumière le rôle des gouvernements du Québec et du Canada dans le pillage des fonds publics au profit de la grande entreprise.
Les deux gouvernements ont en effet octroyé à la compagnie plus de 2.7 milliards de dollars de fonds publics pour la construction d’une usine de fabrication de cellules de batteries lithium-ion sur la Rive-Sud de Montréal. Ils ont aussi promis de subventionner la production de batteries, une fois l’usine en opération, à hauteur de 4,6 milliards de dollars.
La filiale qui est propriétaire du projet québécois n’est pas incluse dans le processus de restructuration et son PDG Paolo Cerruti a déclaré que «le projet est maintenu». Mais ce mot d’ordre répété depuis le début des difficultés financières de Northvolt l’été dernier est de moins en moins crédible. D’autant plus que Cerruti, qui a cofondé Northvolt avec Carlsson après leur départ de Tesla, a ajouté que le projet serait réévalué d’ici la fin de l’année en fonction du «contexte global».
Cette débâcle survient alors que les gouvernements au Canada continuent de miser gros sur la «filière batterie» et le secteur des VE. Au Québec, le gouvernement provincial de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault a financé des dizaines de projets à toutes les étapes du processus de fabrication de batteries, de l’extraction des matières premières à l’assemblage final. Ces projets représentent des investissements de plus de 30 milliards de dollars canadiens, dont seulement 54% proviendraient du secteur privé.
En plus de sa participation au financement de plusieurs projets au Québec, le gouvernement libéral-fédéral de Justin Trudeau s’est associé avec le gouvernement provincial de droite de Doug Ford en Ontario pour donner près de 30 milliards de dollars à Stellantis et à Volkswagen pour la construction de deux usines de batteries.
En novembre 2023, le directeur parlementaire du budget avait évalué que plus de 43 milliards de fonds publics seraient engloutis dans les projets de Northvolt, Stellantis et Volkswagen.
Au moment où les différents paliers de gouvernement au Canada intensifient l’austérité au motif «qu’il n’y a pas d’argent» pour les services sociaux, ils détournent des quantités astronomiques de fonds publics vers la grande entreprise.
Mais l’objectif des gouvernements n’est pas seulement d’enrichir la classe capitaliste. D’un point de vue géostratégique, l’ambition de la classe dirigeante canadienne est de faire de l’impérialisme canadien un acteur important de l’industrie mondiale des VE grâce au développement d’une chaîne d’approvisionnement nationale complète.
L’industrie automobile mondiale est en train de subir une transformation majeure avec la transition vers les VE. Si les constructeurs automobiles partout à travers le monde profitent de cette évolution pour supprimer des emplois, diminuer les salaires et attaquer les conditions de travail, les classes dirigeantes, elles, l’utilisent dans leur conflit grandissant contre la Chine.
Le transfert des chaines d’approvisionnement hors de la Chine est vu comme une façon de nuire à l’économie chinoise en plus de préparer la transition vers une «économie de guerre» puisque les minéraux stratégiques et plusieurs composantes qui entrent dans la fabrication des VE sont aussi vitaux pour l’industrie de l’armement.
Dans une stratégie impérialiste concertée visant à ralentir l’industrie chinoise, le gouvernement Trudeau a emboité le pas à son allié américain au début du mois de septembre et imposé des tarifs de 100% sur les VE chinois, une mesure imitée par l’Union européenne à la fin du mois d’octobre.
Mais des conflits interimpérialistes commencent à fissurer ce bloc anti-Chine alors que les «alliés» américains et européens luttent pour mettre la main sur les minéraux stratégiques et se font compétition pour attirer les entreprises en leur octroyant de très généreuses subventions. Ces rivalités promettent de s’intensifier avec l’élection de Donald Trump aux États-Unis, qui a promis d’imposer des tarifs douaniers de 25% au Canada et au Mexique dès le premier jour de son administration.
Dans ce contexte de tensions internationales, la restructuration de Northvolt est vue par des sections importantes de l’élite financière comme un triomphe pour la Chine et un recul pour les ambitions de l’impérialisme canadien.
Ce n’est pas seulement un coup dur pour le gouvernement Legault, qui a déjà versé 670 millions à Northvolt, une somme maintenant «à risque» selon la ministre de l’Économie Christine Fréchette. Ce l’est aussi pour les tentatives européennes, et en particulier des manufacturiers allemands, de se positionner sur le marché des VE en misant sur Northvolt en tant que principal producteur européen de batteries électriques.
Northvolt n’est pas la seule entreprise de la «filière batterie» québécoise à éprouver des difficultés:
- Quelques jours après l’annonce de Northvolt, le fabricant québécois d’autobus électriques Lion Électrique a annoncé la suspension des activités à sa toute nouvelle usine de Saint-Jérôme au nord de Montréal. Propriété de multimillionnaires et de milliardaires dont le richissime clan Desmarais, l’entreprise a reçu au moins 100 millions de dollars du gouvernement Legault depuis 2020. Mais elle a licencié 520 travailleurs et subi des pertes de 131 millions de dollars en 2024, avant de se placer elle aussi à l’abri de ses créanciers.
- Au début du mois de novembre, le gouvernement du Québec a dû faire un investissement additionnel de 250 millions de dollars pour la construction de l’usine de transformation de lithium de Nemaska Lithium à Bécancour, un projet qui accuse énormément de retard et qui a déjà fait l’objet d’une restructuration en 2019.
- À la fin octobre, le constructeur automobile Ford avait annoncé son retrait du projet d’usine de fabrication de cathodes de batteries de la société sud-coréenne EcoPro BM. Les coûts de construction de cette usine, évalués à 1,2 milliard de dollars, sont financés par Québec et Ottawa à hauteur de 640 millions.
Ces déboires de la «filière batterie» chère à Legault ont déclenché une nouvelle ronde de critiques des partis d’opposition au sujet de «l’incompétence financière» de la CAQ qui a «parié» l’argent des Québécois sur la mauvaise entreprise. Mais ces critiques superficielles sont en réalité un appui de toute la classe politique aux politiques propatronales de la CAQ.
Lorsque le chef du Parti québécois Paul St-Pierre Plamondon demande le respect de l’entente entre Northvolt et le Québec pour que la province «demeur[e] un milieu d’affaires stable et fiable», il signale au patronat qu’il est lui aussi un ardent défenseur du système capitaliste et que l’argent public continuera de couler à flots si son parti devait former le prochain gouvernement.
C’est pourquoi aucun des partis d’opposition, pas même Québec solidaire qui se prétend «de gauche», n’a souligné le lien entre les déboires de la filière batterie où le gouvernement a englouti des milliards de dollars de fonds et la forte intensification des mesures d’austérité – sans parler du lien tout aussi étroit entre les efforts nord-américains et européens pour se tailler une place dans l’industrie des VE et les préparatifs de guerre contre la Chine en tant que rivale stratégique.
Dans les dernières semaines seulement, le gouvernement Legault a:
- Annoncé un gel des embauches dans la fonction publique, en vigueur depuis le 1er novembre;
- Suspendu des dizaines de projets d’infrastructure et autre jugés «non prioritaires»;
- Imposé des coupures de 1,5 milliard de dollars aux établissements de soins de santé de la province, y compris un gel d’embauche du personnel soignant qui manque déjà cruellement et la suspension des investissements pour la construction et la rénovation des infrastructures vétustes;
- Déposé un projet de loi qui prévoit des coupures importantes à l’aide sociale.
Les ressources produites par le labeur de la classe ouvrière sont monopolisées pour accroître les profits de la grande entreprise et financer les ambitions géostratégiques de l’impérialisme canadien. Ce processus exige de féroces attaques sur les conditions des travailleurs et les services sociaux.
La classe ouvrière doit lutter contre ces politiques réactionnaires en mettant de l’avant un programme pour la défense des emplois, l’augmentation des salaires, des investissements massifs dans les services sociaux et la fin de la guerre et du génocide.
Ce programme ne peut être mis en œuvre que dans le cadre d’une lutte politique de la classe ouvrière internationale pour une transformation révolutionnaire de la société vers une économie socialiste planifiée à l’échelle mondiale pour satisfaire les besoins de tous.